Eugène Sue
MISS MARY
OU L’INSTITUTRICE
(tome 3)
Suivi de UN DRAME D’HIER
1851
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Table des matières
M. de Morville, malgré la demi-obscurité que l’approche de la nuit répandait dans le pavillon, remarqua la pâleur des traits de sa femme et leur expression empreinte d’une exaltation douloureuse.
Miss Mary, encore plus surprise que blessée des paroles insultantes arrachées par la colère à madame de Morville, resta calme et digne.
— Ainsi l’on ne m’avait pas trompée ! reprit impétueusement la mère d’Alphonsine en regardant tour à tour son mari et l’institutrice, un rendez-vous le soir ! dans ce pavillon isolé… avec l’institutrice de votre fille ! Ah ! monsieur… monsieur ! si vous avez perdu toute honte, songez du moins à vos enfants.
— Louise ! s’écria M. de Morville, je vous en supplie, revenez à vous, la colère vous égare ! Quoi, sur le rapport mensonger d’une misérable folle, vous osez croire !
— Je crois, monsieur, ce que je vois, et je vois ici dans ce pavillon mon mari en tête à tête avec sa maîtresse.
— Madame, reprit M. de Morville en tâchant de se contenir, je sais la part qu’il faut faire à l’aveugle violence de votre caractère, mais je ne souffrirai pas que devant moi vous osiez ainsi calomnier, outrager mademoiselle Lawson.
— Monsieur, dit vivement miss Mary, si vous avez pour moi le respect que je mérite, je vous en conjure, ne me défendez pas ; il me serait pénible d’être cause d’une discussion irritante entre vous et madame de Morville.
— C’est charmant ! s’écria la mère d’Alphonsine en poussant un éclat de rire sardonique. Grâce au bon accord du ménage, mademoiselle désirait continuer en parfaite tranquillité le rôle indigne qu’elle joue chez moi !
— Louise, reprit M. de Morville, malgré un geste suppliant de miss Mary, mais vous perdez la raison ! mais vous outragez ce qu’il y a de plus noble, de plus pur au monde !
— Madame, dit miss Mary en interrompant M. de Morville et s’adressant à sa femme, il est des soupçons si odieux, si insensés, qu’ils ne peuvent blesser une âme honnête ; vous n’êtes pas en ce moment maîtresse de vous-même. Je ne répondrai rien à des paroles que vous regretterez bientôt. Deux années de séjour ici m’ont appris à vous connaître, madame, et si quelquefois j’ai, sans me plaindre, souffert de la vivacité de vos premiers mouvements, j’ai pu souvent aussi apprécier la bonté de votre cœur.
— Assez, mademoiselle, assez ! Croyez-vous me rendre dupe de vos hypocrites et basses flatteries ? Croyez-vous m’imposer silence par cette feinte résignation ?
— Je n’ai d’autre désir que de vous convaincre de votre erreur. Parlez donc, madame, je vous écoute et vous promets de ne pas vous interrompre.
Cette promesse et le sang-froid de miss Mary déconcertèrent d’abord madame de Morville ; ainsi qu’il arrive à toutes les personnes d’un caractère violent, sa colère puisait de nouveaux aliments dans la résistance et dans la contradiction, mais souvent elle s’éteignait devant le silence et le calme. Cependant, ses jalousies, ses rancunes puériles de toutes sortes, et surtout sa conviction des tendres relations de son mari et de l’institutrice, suffirent à l’explosion de la colère de madame de Morville, et elle s’écria :
— Soit, mademoiselle, vous serez satisfaite, et puisque nous daignez, ainsi que M. de Morville, me permettre de parler, vous saurez tout ce que j’ai sur le cœur : et d’abord je vous dirai que vous ressemblez à toutes vos pareilles ; une fois introduites dans nos familles, mesdemoiselles, vous y prenez des goûts, des habitudes de bien-être auxquels il vous coûte tant de renoncer, que pour les éterniser, s’il est possible, vous cherchez à vous créer, par tous les moyens, honnêtes ou non, une position qui survive à vos fonctions ; la jeune fille que l’on vous confie est l’objet de vos premières captations ; son éducation vous sert de prétexte pour l’isoler de ses parents, pour l’accaparer, afin d’en faire un esclave docile, vous réservant d’être plus tard sa conseillère indispensable, ou au pis aller sa complaisante peu scrupuleuse. Pour arriver à ce noble but, il faut surtout éloigner la mère, qui ne sait qu’aimer son enfant, et à l’aide de talents acquis, sans doute à cette louable intention, écraser sous une comparaison humiliante l’épouse dont on redoute l’influence auprès du mari. Rien de plus facile ; on est jeune, belle, séduisante ; le mari est exposé à une séduction de tous les instants ; il est faible, l’on est rusée, hypocrite, tenace, et bientôt le chef de famille, dominé par une étrangère, soumettra sa femme, ses enfants à la tyrannie d’une créature qui devient ainsi la seule maîtresse de la maison. Malheureusement, voyez-vous, mademoiselle, parfois il se rencontre des femmes qui, hors d’état sans doute de lutter de charmes, de grâce, de talents, avec l’institutrice, qu’elles payent, finissent par se révolter de l’impudeur et de l’impudence de certaines prétentions et y mettent un terme par le moyen fort simple que voici : Un beau matin, ou plutôt un beau soir, elles disent à l’institutrice dont les odieux projets sont dévoilés : Mademoiselle Lawson, je suis chez moi ! et la main de madame de Morville, arrivée au paroxysme de la colère, indiqua d’un geste outrageant la porte à miss Mary ; mademoiselle Lawson, je suis chez moi et je vous…
— Arrêtez, madame ! s’écria la jeune fille d’un ton à la fois si imposant, si fier, que madame de Morville n’acheva pas, pas un mot de plus, dans votre intérêt, non dans le mien, car il est des outrages qui ne peuvent m’atteindre.
— Dans mon intérêt ! reprit madame de Morville ; que voulez-vous dire, mademoiselle ? est-ce une menace ?
— C’est une prière, madame ; je veux sortir de chez vous en emportant l’affection de votre famille et votre estime, madame ; oui, votre estime. Voilà pourquoi je vous prie de ne pas céder à un entraînement que vous regretteriez amèrement. Voilà pourquoi je vous prie de vouloir bien m’entendre.
— Emporter mon estime, à moi ? Ah çà ! vous me croyez donc bien sotte ou bien lâche, mademoiselle Lawson ? Mon estime ! à vous qui avez amené le malheur, la désolation dans notre famille, depuis le premier jour de votre arrivée, où mes enfants ont été déshérités par leur oncle, jusqu’à aujourd’hui où vous m’enlevez l’affection de mon mari !
— Vous m’accusez, madame, de vouloir vous enlever l’affection de M. de Morville et d’aspirer à dominer chez vous ? Voici ma réponse : Avant un quart d’heure vous verrez arriver près de ce pavillon la voiture que tantôt M. de Morville a bien voulu mettre à ma disposition pour aller à Tours, et de là je me rendrai en Angleterre…
— Vous partez ! s’écria madame de Morville, frappée de stupeur ; puis elle reprit : Non, non, c’est un mensonge ou un piège !
— Louise, dit M. de Morville, il y a une heure, à la demande de miss Mary, j’ai envoyé d’ici au cocher l’ordre d’atteler et d’amener la voiture. Elle sera dans un moment à la porte du parc.
Madame de Morville, dont la colère ne savait plus pour ainsi dire où se prendre, fut complètement déroutée par l’annonce du départ de miss Mary.
— Maintenant, madame, je l’avoue, reprit l’institutrice, ma présence dans votre famille a amené des malheurs que je regrette profondément, car j’en suis la cause involontaire.
— Involontairement ou non, s’écria madame de Morville, vous êtes un porte-malheur, ainsi qu’il y a deux ans, lors de votre arrivée ici, je le disais à M. de Morville, qui, par prévision sans doute, prenait déjà votre parti contre moi.
— Madame, en agissant ainsi, M. de Morville cédait à un sentiment naturel d’équité ; était-il juste de me rendre responsable de malheurs dont je suis, je le répète, la cause involontaire ?
— Et sur qui donc alors, mademoiselle, retombera cette responsabilité ?
— Je n’ai pas provoqué cette question, madame ; il est de ma dignité, de mon devoir d’y répondre avec une extrême sincérité. D’abord, permettez-moi de ne pas croire aux porte-malheur, à cette fatalité fâcheuse qui s’attacherait à ma présence ou à ma personne.
— Enfin, les faits sont là, mademoiselle ; ils existent, malheureusement pour nous !
— Oui, madame, les faits existent. Seulement, je crois que ma présence dans une autre famille n’aurait pas produit les mêmes faits. Veuillez, de grâce, me laisser achever, ajouta miss Mary en répondant à un mouvement d’impatience de madame de Morville. Croyez-vous que si, malgré cette prétendue fatalité inséparable de ma personne, je m’étais trouvée au milieu d’une famille où les graves devoirs de chacun eussent été rigoureusement observés, où certaines différences de caractères, de goûts, chez les maîtres de la maison, au lieu de se développer de plus en plus sans contrainte, eussent été dominés, contenus par ces pensées, l’exemple à donner aux enfants, la vigilante sollicitude à exercer sur eux, alors, franchement, madame, les malheurs que l’on me reproche seraient-ils arrivés ?
— Ainsi, mademoiselle nous reproche, à moi d’avoir méconnu mes devoirs de mère, à vous, monsieur, vos devoirs de père.
— Et mademoiselle Lawson a raison, Louise, reprit M. de Morville d’une voix grave. J’ai eu tort de me laisser aller à des habitudes d’isolement, et au lieu de refuser vos offres si souvent réitérées de partager mes goûts solitaires, j’aurais dû accepter ; grâce à quelques concessions mutuelles, j’aurais un peu plus sacrifié au monde et vous y auriez sacrifié un peu moins ; au lieu de rester des mois entiers éloignés l’un de l’autre, nous livrant chacun à l’existence que nous préférions, et ne prêtant, il faut le dire, qu’une attention secondaire à l’éducation de nos enfants, nous aurions dû les entourer constamment de nos soins, et aujourd’hui, hélas ! nous n’aurions peut-être pas à nous reprocher…
— Pardonnez-moi de vous interrompre, monsieur, dit vivement miss Mary ; loin de moi toute idée de récrimination stérile ; je tenais seulement à convaincre madame de Morville qu’avec son bon sens et son bon cœur, elle ne pouvait croire à la fatalité de ma présence en cette maison.
— Tout ce que je sais, mademoiselle, c’est que nous étions tous heureux et tranquilles avant votre arrivée ici, reprit madame de Morville avec amertume, et aujourd’hui vous partez nous laissant dans le chagrin.
— Ah ! madame, le jour le plus malheureux de ma vie serait celui où je quitterais votre famille avec la douloureuse conviction que mon nom y serait maudit.
— Hé ! mademoiselle, ce sont là des phrases, rien de plus. Je veux bien croire, si vos projets de départ étaient réels et connus d’avance, que l’on vous a calomniée quant à ce qui regarde M. de Morville, mais enfin il n’en est pas moins vrai que mes enfants sont déshérités par leur oncle, que ma fille se meurt d’une maladie de langueur, et que mon fils est méconnaissable.
— Un mot encore, madame. Vous m’avez appelée chez vous pour achever l’éducation de votre fille ; je m’adresse à votre loyauté : ai-je honorablement rempli ma mission ?
— Mon Dieu, mademoiselle, je dis le bien comme le mal. Oui, vous avez complété l’éducation d’Alphonsine au delà de nos espérances, mais il ne s’agit pas de cela.
— Pourtant, madame, je ne suis venue chez vous que pour achever l’éducation de votre fille : aussi pourrais-je me borner à vous répondre qu’ayant accompli mes devoirs à votre satisfaction, je suis au-dessus de tout reproche ; mais cela ne me suffit pas ; non, et je vous le répète, madame, je ne veux pas laisser ici le chagrin, le malheur ; je n’oublie pas avec quelle bienveillance j’ai été accueillie dans votre famille.
— Mais, encore une fois, mademoiselle, ce sont là des phrases, et les belles phrases n’empêcheront pas mes enfants d’être déshérités par leur oncle !
— M. de la Botardière reviendra, madame, sur cette fâcheuse résolution ; j’ose presque vous le promettre, madame.
— Vous, mademoiselle ?
— Oui, madame.
Madame de Morville sourit d’un air sardonique en haussant les épaules, puis ajouta :
— Et sans doute vous rendrez aussi comme par enchantement la santé à ma fille ?
— Je l’espère, madame, car j’ai déjà commencé sa guérison. Aussi, croyez-moi, lorsque tout à l’heure, vous suppliant de retenir sur vos lèvres des paroles outrageantes, je vous disais vouloir m’éloigner d’ici en emportant votre estime, votre affection, je disais vrai ; et j’en suis certaine, vous m’accordez cette estime, cette affection, du moment où la paix et le bonheur régneront dans votre famille.
— Oh ! certes, reprit madame de Morville avec un accent de doute et d’amertume ; mais en attendant, je ne puis m’empêcher de maudire le hasard qui vous a amenée ici, mademoiselle.
La brusque entrée de madame Pivolet, précédant William de quelques pas, interrompit l’entretien. La femme de charge, s’adressant à miss Mary, lui dit d’un air affairé :
— Mademoiselle, tout est prêt. La voiture est au bout de l’avenue ; j’ai porté dedans tout ce que Thérèse m’a remis, votre malle, votre chapeau, votre châle, votre manteau, car il fait froid, très froid ; la nuit va être tout à fait noire, et il faut bien vous couvrir, ma chère demoiselle.
— Miss Mary, dit M. de Morville d’un ton contenu et pénétré, vous voulez partir, nous respectons votre désir ; mais laissez-nous du moins espérer que nous vous reverrons.
— Je ne sais, monsieur ; mais j’espère, avant de quitter la France, accomplir la promesse que j’ai eu l’honneur de faire tout à l’heure à madame de Morville.
En disant ces mots, l’institutrice s’inclina devant madame de Morville. Celle-ci, cédant à un retour de bon naturel, fut sur le point de prier miss Mary de suspendre son départ, mais en proie à l’orgueil et à la rancune, elle répondit sèchement par un demi-salut aux adieux de l’institutrice, que M. de Morville, le cœur brisé, vit sortir toujours calme et digne, suivie de madame Pivolet et de William.
Pendant que miss Mary parcourait l’allée qui conduisait à la porte du parc auprès de laquelle attendait la voiture dont les deux lanternes étaient allumées, madame Pivolet se disait triomphante :
— Enfin, la belle Anglaise, te voilà chassée, mais tu ne sais pas ce qui t’attend au bord de la Mare-à-la-Femme-Fouettée. Le père Chênot et son monde sont avertis, la lumière des lanternes les avertira de l’approche de la voiture, le cocher les laissera faire, et quant à ton insulaire d’Anglais, il sera seul contre six.
Au moment de monter en voiture, miss Mary dit au cocher :
— Joseph, combien y a-t-il de distance d’ici à la petite ville de Saint-Hilaire ?
— Deux heures, mademoiselle.
— Et de Saint-Hilaire au château de la Botardière ?
— Une petite lieue, mademoiselle.
— Pourrais-je, demain matin, trouver à l’auberge de Saint-Hilaire, où je passerai la nuit, une voiture pour me rendre au château de la Botardière ?
— Oui, mademoiselle.
— Alors, Joseph, au lieu de me conduire à Tours, conduisez-moi à Saint-Hilaire.
— Oui, mademoiselle, dit le cocher, auprès de qui monta William.
— Comment ! elle prend la route de Saint-Hilaire ! s’écria d’une voix désespérée madame Pivolet ayant entendu donner cet ordre et voyant la voiture s’éloigner rapidement, mais ils ne passeront pas par la route où le père Chênot attend la belle Anglaise ! Ah ! double scélérate, tu me le payeras !
Le château de la Botardière, avec ses murailles noirâtres, ses persiennes grises, ses fossés remplis d’eau dormante, sa cour silencieuse, et sa grille de fer rouillé presque toujours fermée, avait, ainsi que son propriétaire, une apparence parfaitement inhospitalière.
Le lendemain matin du jour où miss Mary avait quitté le château de Morville, M. de la Botardière, assis au coin de son feu, achevait la lecture de son journal ; un paravent déplié en hémicycle au milieu d’un grand salon à boiseries grises, tristes et nues, protégeait le quinteux vieillard contre les courants d’air qui s’échappaient des fissures de quatre grandes croisées à petits carreaux, ornées de rideaux de cotonnade jaune ; vêtu d’une veste et d’un pantalon de molleton jadis blanc, coiffé d’un foulard en désordre, d’où s’échappaient quelques mèches de cheveux gris, M. de la Botardière jouissait d’autant plus complaisamment de la chaleur de son foyer, que ses jambes étaient préservées de la trop vive ardeur du feu par des jambards de carton simulant la partie antérieure d’une botte à revers. Ainsi plongé dans son fauteuil de tapisserie, les pieds sur les chenets, M. de la Botardière savourait les délices moroses de la solitude.
— Il est vrai, disait-il, il est vrai que je ne m’amuse point énormément. Mes journées sont longues, mes soirées n’en finissent pas ; mais quel bonheur de penser qu’on est seul, que personne ne viendra vous mettre de mauvaise humeur, qu’on ne sera pas accablé de visiteurs qui viennent vous gruger ou vous assommer de leur désœuvrement ; enfin, que l’on vit comme on veut, à sa guise, rentrant chez soi ou en sortant à son gré, ne faisant de frais pour personne ! Quand mon neveu venait avec sa famille ou que j’allais à Morville, c’était autre chose, je le sais bien : il y avait parfois d’assez bonnes journées. J’avais mon franc-parler, je disais son fait à chaque personne de la famille, personne n’osait me répliquer ; avantage que l’on trouve seulement chez des parents qui savent respecter vos cheveux blancs, car hors de là il faut voir comme on est reçu lorsque l’on dit aux gens leurs vérités ! Quelles bourrades on reçoit ! c’est à dégoûter de la sincérité ! Tandis qu’à Morville, je pouvais grogner, bougonner, rabâcher, sans conteste. Mais bon ! je suis bien sot de regretter ces gens-là, ce sont des ingrats, des gens cupides. Avec quel bonheur je me dis : Ils sont vexés, furieux d’être déshérités ! Il ne se passe pas de jour qu’ils ne regrettent ma fortune. Et puis, après tout, si j’allais chez eux, ils venaient chez moi, me faire des visites de surprise, comme ils disaient, et rien ne m’était plus odieux, plus insupportable que des visites qui me tombaient des nues, au moment où je ne m’y attendais pas. Mais, Dieu merci ! maintenant je suis délivré de ces affreux ennuis, de ce cauchemar qui empoisonnait ma vie.
À cette espèce de défi jeté au monde par M. de la Botardière, répondit le bruit aigu du sifflet du portier (l’on annonçait encore ainsi, selon la vieille coutume, les rares visiteurs du château de la Botardière).
À ce bruit, M. de la Botardière bondit sur son fauteuil, fronça le sourcil d’un air menaçant, et s’écria :
— Qui ose venir chez moi quand je n’attends personne ?
Ambroise, vieux serviteur aussi hargneux que son maître et de plus fort sourd, entra d’un pas traînant dans le salon, et, avançant sa tête au-dessus du paravent, il dit à son maître :
— Monsieur, c’est une visite.
— Je ne reçois personne, grommela M. de la Botardière en se cantonnant au fond de son fauteuil.
— Monsieur, c’est une demoiselle, reprit Ambroise, qui n’avait pas entendu un mot de la réponse de son maître, c’est une demoiselle anglaise.
— Une Anglaise !
— Elle vient du château de Morville.
— Une Anglaise… et elle vient du château de Morville ! répéta M. de la Botardière avec une stupeur courroucée. C’est impossible… tant d’audace !
— Et cette demoiselle anglaise, reprit Ambroise, s’appelle miss Mary.
— La drôlesse ! l’aventurière de cet infernal voyage de Calais ! s’écria M. de la Botardière en se levant. Comment ! elle ose venir me relancer jusqu’ici !
— Oui, monsieur, je vais la faire entrer ici, reprit Ambroise croyant avoir compris l’intention de son maître, et il se dirigea vers la porte.
— Ambroise ! s’écria le vieillard, maudit sourd ! écoute-moi donc, je ne veux pas que…
— J’entends bien, monsieur ! répondit le serviteur en ouvrant la porte, et il dit d’un ton bourru : Entrez, entrez, mademoiselle.
Au bout d’un instant, Ambroise ayant écarté les feuilles du paravent, M. de la Botardière se trouva face à face avec miss Mary, qui, entrant dans l’hémicycle formé par le paravent, dit au vieillard :
— J’ose espérer, monsieur, que vous excuserez ma visite en faveur du motif qui m’amène ici.
— Il n’y a aucun motif, mademoiselle, à une visite que je pourrais, que je dois qualifier en la taxant d’extraordinaire, d’exorbitante, d’audacieusement hostile, d’inconcevablement provocatrice.
— Provocatrice… est le mot, monsieur, reprit miss Mary avec un doux et gracieux sourire : je viens provoquer la générosité de votre cœur, et j’ai la certitude que vous répondrez à ma provocation.
— Vous vous trompez, mademoiselle, reprit aigrement le vieillard, je ne suis point généreux du tout ; je voudrais, corbleu ! bien savoir où vous avez vu des preuves de ma générosité ?
— C’est comme si vous me disiez, monsieur, que vous n’existez pas, parce que vous vivez retiré dans cette solitude, invisible à ceux qui vous aiment et vous vénèrent. Je veux donc croire, je crois à la bonté de votre cœur. Est-ce un grand crime ?
Miss Mary accentua ces dernières paroles avec tant de finesse et de grâce ; elle était si belle et si charmante, que, malgré sa morosité quinteuse, M. de la Botardière ne put s’empêcher de remarquer que la présence de cette jeune et délicieuse créature semblait éclairer, pour ainsi dire, sa sombre et chagrine solitude. Cependant, se rebellant contre cette pensée avec une vague appréhension, il répondit d’un air maussade :
— Mademoiselle, j’ai peu de goût pour la conversation ; vous vous êtes introduite chez moi ; que voulez-vous ?
— Oh ! mon Dieu, monsieur, la chose la plus simple du monde : je désire que vous rendiez votre affection, votre tendresse à votre famille.
— Vraiment ! s’écria M. de la Botardière, abasourdi, pouvant à peine croire à ce qu’il entendait ; puis il reprit bientôt, avec un courroux croissant : Eh bien, à la bonne heure ! C’est net, c’est carré ; d’autres auraient pris des précautions oratoires pour annoncer de loin cette énormité ; mais vous…
— Oh ! moi, reprit en souriant miss Mary, en ma qualité d’avocat novice, comptant sur la bonté de ma cause et sur l’équité de mon juge, sachant d’ailleurs qu’il est de ces fermes esprits que de vaines paroles n’abusent pas, je vais droit au fait.
— De mieux en mieux ! Ainsi, vous venez tout bonnement, mademoiselle, me demander de rendre mon amitié à mon neveu et à sa famille ?
— Oui, monsieur.
— Et aussi (puisque vous êtes en si beau chemin), et aussi de laisser à mon neveu ma fortune après moi ?
— Naturellement.
— Naturellement !… Ah ! vous trouvez cela naturel, mademoiselle. Puis, poussant un éclat de rire sardonique, il dit : Soit ! J’aime parfois, tout comme un autre, ce qui est bizarre, et c’est une chose fort bizarre que d’entendre plaider une cause détestable par un avocat…
— Que l’on n’aime pas ? dit miss Mary avec son doux sourire, en interrompant le vieillard. Mais du moins, monsieur, l’équité veut que cet avocat qu’on n’aime pas… on l’écoute.
— Oh ! parlez, parlez. Vous l’avez dit : Je suis de ces fermes esprits que l’on n’abuse point avec de vaines paroles.
Malgré cette assertion triomphante, le vieillard s’apercevait que son oreille, depuis longtemps habituée aux accents peu agréables de la voix d’Ambroise et de ses autres domestiques, éprouvait une sorte de plaisir à entendre l’organe frais et doux de la jeune fille ; mais très décidé à se montrer intraitable, M. de la Botardière ne vit aucun inconvénient à jouir de l’harmonie de cette voix charmante, et il dit à miss Mary :
— Je vous écoute, mademoiselle ; je suis curieux de savoir par où vous commencerez. Vous allez sans doute, pour me bien disposer en votre faveur, me parler d’abord de cet abominable voyage de Calais.
— Si je vous en parlais, monsieur, ce serait pour vous exprimer un regret : celui de n’avoir pas songé à me mettre sous votre protection pendant ce voyage.
— La belle idée que vous auriez eue là !
— Si je m’étais adressée à votre courtoisie, moi, étrangère et sans appui, m’auriez-vous refusé ?
— Je n’en sais, ma foi, rien.
— Vous ne dites pas non, et vous avez raison, car, malgré vos brusqueries, vos boutades, souvent injustes, votre cœur est bon.
— Ta, ta, ta, vous voulez m’enjôler.
— Parce que je vous parle de la bonté de votre cœur ?
— Certainement.
— N’avez-vous pas aimé, tendrement aimé votre sœur ?
— Ah ! celle-là, oui, reprit le vieillard en cédant à un attendrissement involontaire. Oh ! oui, je l’ai aimée, bien aimée !
— Je le crois, monsieur, votre émotion le dit assez.
— Vous vous trompez, mademoiselle, se hâta de répondre M. de la Botardière, craignant de laisser prendre à miss Mary quelque avantage sur lui, je ne suis point ému du tout.
— Pourquoi le nier ?
— Je vous vois venir, vous conclueriez de là que puisque j’ai tendrement aimé ma sœur, je dois également aimer mon neveu, sa femme et leurs enfants. Mais, corbleu ! c’est autre chose, reprit le vieillard avec une irritation croissante, des ingrats, des avides, qui ne songent qu’à mon héritage !
— Ce sont là, monsieur, des paroles mauvaises, injustes et déraisonnables.
— Mademoiselle ! s’écria M. de la Botardière, voici la première fois que l’on ose me dire en face…
— La vérité, n’est-ce pas, monsieur ? C’est mon habitude, je ne peux la changer ; mais veuillez, je vous prie, me répondre : quelle a été la cause de votre rupture avec M. et madame de Morville ? Mon arrivée chez eux.
— Certainement !
— S’ils avaient consenti à ne pas me prendre pour institutrice, vous n’auriez pas rompu avec M. et madame de Morville ?
— Non.
— En un mot, ma seule présence au château vous empêchait d’y revenir ?
— Oui, mademoiselle, oui !
— Alors, monsieur, rien ne s’oppose plus à ce que vous vous rendiez aux vœux les plus chers de votre famille : j’ai quitté le château de Morville, je n’y retournerai plus.
— Comment ! vous n’êtes plus institutrice chez mon neveu ?
— Non, monsieur ; mais un mot encore. Vous reprochez à M. de Morville la cupidité qui lui fait, dites-vous, désirer votre héritage ? S’il en était ainsi, si M. de Morville et sa femme avaient été des âmes vénales, auraient-ils un moment hésité à me sacrifier, lorsque vous leur avez dit : Je vous déshérite si vous gardez chez vous mademoiselle Lawson ?
— Qu’est-ce que cela prouve ? qu’ils ont mieux aimé en faire à leur tête que d’hériter de moi !
— Nous voici déjà, monsieur, bien près de nous entendre : votre neveu et sa femme ne sont plus des gens avides, intéressés, mais des gens qui en voulaient faire, ainsi que vous le dites, à leur tête ; qui ne voulaient pas, en un mot, chasser de chez eux, sans lui permettre de se justifier, une pauvre jeune fille étrangère, qui, en échange de l’éducation qu’elle venait donner à leur enfant, leur demandait le pain d’un père, d’une mère et de trois sœurs qu’elle avait quittés dans le pieux espoir de rendre leur infortune moins pénible. Dites, monsieur, dites, ajouta miss Mary d’une voix pénétrante qui émut profondément et malgré lui M. de la Botardière, M. et madame de Morville, pour s’être montrés équitables envers moi, ont-ils démérité de vous ?
— Mademoiselle, si les choses se sont ainsi passées, j’avoue que… Mais se reprenant et luttant contre le charme de miss Mary dont il subissait l’influence, le vieillard reprit brusquement : Et d’ailleurs, pourquoi mon neveu et sa femme ne m’ont-ils pas écrit tout ce que vous me dites là ?
— Ils ont envoyé près de vous leurs enfants, monsieur ; vous avez refusé de les voir ; après un pareil accueil, que pouvaient faire M. de Morville et sa femme ? Vous les soupçonniez de cupidité, leur dignité s’opposait à d’autres tentatives de rapprochement : vous auriez pu y voir quelque arrière-pensée vénale.
— Je ne dis pas non, mais…
— Un mot encore, monsieur. Vous reconnaissez qu’en refusant de céder à votre désir, vos parents obéissaient à un sentiment honorable ; malheureusement, ma présence, ma personne vous était odieuse.
— Odieuse ! odieuse ! Mademoiselle, le mot est trop fort.
— Déplaisante, si vous le préférez.
— Déplaisante ! encore moins, mademoiselle !
— Désagréable, importune, soit !
— Mais, non, mademoiselle ! pas du tout.
— Enfin, j’ai quitté le château de Morville ; pourquoi lutteriez-vous plus longtemps contre le sentiment généreux qui vous attire vers une famille qui vous a toujours entouré de tendresse et de vénération ?
— Quoi ! vous me croyez assez faible pour désirer de revoir ces ingrats ?
— Je crois, monsieur, qu’il ne se passe pas de jour où vous ne vous disiez : « Ah ! le bon temps que celui où j’allais au château de Morville ! J’étais parfois bourru, grondeur, mais ces gronderies, qui ne m’empêchaient pas d’être le meilleur homme du monde, n’éloignaient personne de moi ; on m’accueillait toujours avec autant de cordialité que de déférence. » Et l’on avait raison, monsieur, car ce grondeur était pour M. de Morville le frère d’une mère adorée, et à la seule condition de vous laisser aimer, vénérer, vous aviez le droit de gronder tout à votre aise.
— Mademoiselle, permettez…
— Non ! non ! à cette douce vie de famille vous ne pouvez préférer un isolement qui vous pèse ! Oh ! ne le niez pas, vous regrettez ces relations d’autrefois que la tendre déférence de M. de Morville, de sa femme, de leurs enfants, vous rendait si chères ! Enfin, monsieur, soyez sincère. Qu’est-ce que l’existence que vous menez ici ? Une vie froide, décolorée, monotone, sans attrait pour l’âme, sans charme pour l’esprit ; mécontent de vous et des autres, vos meilleurs jours sont ceux où rien ne vous distrait de votre morne ennui. Laissez ces habitudes moroses et solitaires à ceux-là qu’un triste sort a privés des douceurs ineffables de la famille ; jouissez-en donc, et ne soyez pas ingrat envers Dieu !
Le vieillard avait écouté miss Mary avec une émotion croissante ; la grâce, la franchise, la raison, la touchante beauté de la jeune fille, faisaient sur lui une impression aussi profonde qu’inattendue.
— Mademoiselle, s’écria-t-il soudain, après quelques moments de réflexion, voulez-vous répondre sincèrement à mes questions ?
— Je ne saurais vous répondre autrement, monsieur.
— Je ne suis point un sot, je connais mon neveu, et quels que soient mes griefs contre lui, j’avoue que c’est un homme d’excellent jugement ; j’avais contre vous de très fâcheuses préventions ; si mon neveu vous a gardée deux ans pour institutrice, c’est que mes préventions étaient fausses ; j’ai su d’ailleurs par des étrangers que vous avez fait de ma nièce une personne accomplie.
— Bientôt, monsieur, je l’espère, vous serez à même de juger Alphonsine.
— Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Pourquoi quittez-vous le château ? Miss Mary, vous êtes sincère : je vous adjure de me parler sans déguisement.
— Je quitte le château de Morville, monsieur, pour deux raisons : la première, c’est que l’éducation d’Alphonsine est à peu près terminée ; la seconde…
— Vous hésitez… La seconde, c’est que vous n’avez pas été traitée chez mon neveu comme vous méritiez de l’être !
— Monsieur…
— Ils vous ont rendue malheureuse, je m’en doutais.
— Monsieur, veuillez m’écouter.
— Veuillez m’écouter vous-même, mademoiselle ! s’écria le vieillard avec une amertume croissante. Ah ! ils vous ont rendue malheureuse ? cela ne m’étonne pas, mais soyez tranquille, si vous le voulez, vous serez vengée, et moi aussi.
— Monsieur, je ne vous comprends pas.
— Miss Mary, vous êtes une honnête et loyale personne.
— Je crois pouvoir l’affirmer.
— Vous êtes sans fortune ?
— Oui, monsieur.
— Vous adorez votre intéressante famille ?
— Oh ! de toutes les forces de mon âme !
— Vous seriez ravie de voir père, mère, sœurs aussi heureux que possible ?
— C’est mon vœu le plus cher.
— Eh bien, chère miss Mary, vous avez un moyen d’assurer le bonheur de votre famille, le vôtre, et par-dessus le marché vous aurez le plaisir de vous venger de mon scélérat de neveu, qui a manqué d’égards envers vous.
— En vérité, monsieur, je…
— Miss Mary, s’écria M. de la Botardière en jetant un coup d’œil confus sur son costume de molleton, je ne puis me faire comprendre, fagotté comme je le suis ; donnez-moi le temps de me raser, de m’habiller convenablement, et alors… puis courant vers la porte, qu’il entrebâilla, il cria : Ambroise ! Ambroise ! va m’attendre dans ma chambre à coucher… Se retournant alors vers l’institutrice, qui le regardait avec une surprise croissante : Excusez–moi, miss Mary, de vous laisser seule, je reviens dans un quart d’heure, et alors, ajouta M. de la Botardière d’un air triomphant, et alors je m’expliquerai catégoriquement. Et après avoir accentué cet adverbe d’une façon qu’il crut très significative, M. de la Botardière quitta précipitamment le salon en s’écriant : Ambroise ! Ambroise ? Il ne m’a pas entendu ! Maudit sourd !
Et il laissa miss Mary stupéfaite de cette brusque sortie.
— Je ne comprends rien aux paroles de M. de la Botardière, se disait la jeune fille ; où est-il allé ? pourquoi me laisser seule ? Je regrette de n’avoir pas eu le temps de l’avertir que j’ai prié Henry de venir me prendre ici, afin de partir ensuite pour l’Angleterre ; malgré moi, je redoute quelque nouvelle étourderie de M. de Favrolle, et je n’ai pas commis, je crois, une grande indiscrétion envers M. de la Botardière, en donnant rendez-vous chez lui à mon protecteur naturel.
À ce moment, miss Mary entendit au dehors le pas d’un cheval résonnant dans la cour.
— C’est lui ! c’est Henry ! s’écria-t-elle ; il aura devancé la voiture afin de se rendre plus tôt près de moi.
Et ne doutant pas de la venue de son fiancé, dont elle était séparée depuis trois ans, son cœur palpita si violemment, elle se sentit si profondément émue, qu’elle n’eut pas la force de faire un mouvement, quoiqu’elle entendît dans la pièce voisine des pas qui ne pouvaient être que ceux de Henry Douglas.
Mais quelle fut la stupeur de miss Mary, lorsqu’au lieu de son fiancé si impatiemment attendu, elle vit entrer dans le salon M. de Favrolle, pâle, défait, et dont les vêtements souillés de boue annonçaient qu’il venait de faire une longue course à cheval.
Miss Mary, aussi cruellement déçue dans son attente qu’effrayée par l’arrivée imprévue de M. de Favrolle, devint d’une pâleur mortelle et ne put retenir un cri d’effroi. M. de Favrolle, sardonique et résolu, s’avança vers elle en s’écriant :
— Enfin, mademoiselle, je vous rejoins après une nuit passée à votre recherche. Franchement, je ne suis pas fâché de prendre ce matin ma revanche d’hier soir ; rassurez-vous d’ailleurs : malgré une irritation dont vous comprenez les motifs, je ne manquerai à aucun des égards qui vous sont dus, mais autant vous me trouverez respectueux et rempli de convenance, autant vous me trouverez aussi déterminé à l’endroit des projets que je vous ai annoncés et dont aucune puissance humaine ne me fera départir.
Miss Mary, anéantie par ce coup imprévu, se laissa tomber sur un siège, perdit tout courage et murmura d’une voix entrecoupée par les larmes :
— Ah ! monsieur, si vous saviez ce que je souffre, vous auriez pitié de moi !
— Mon Dieu ! mademoiselle, je ne suis ni un tyran ni un misérable ! Dans la maison où nous étions hier, je ne sais quel point d’honneur pouvait vous faire une loi de ne point m’écouter ; mais ici vous êtes libre, je viens donc pour connaître mon sort, et je ne vous quitterai pas qu’il ne soit irrévocablement décidé par vous, non pas légèrement, mais avec mûre réflexion…
Miss Mary frémit : elle venait d’entendre dans la cour le bruit d’une voiture de poste. Plus de doute, cette fois, c’était Henry Douglas qui venait la chercher. La jeune fille eut un moment de vertige en songeant aux malheurs dont elle était menacée ; lorsque la pensée lui revint, elle vit apparaître à la porte du salon la mâle et calme figure de Henry Douglas, introduit, non par Ambroise, mais par un autre serviteur fort étonné de cette concurrence de visiteurs ordinairement si rares au château de la Botardière.
Miss Mary, à la vue de son fiancé, ne put retenir un cri étouffé ; ses yeux humides s’arrêtèrent remplis de tendresse et d’angoisse sur le grave et beau visage de son cousin qu’elle n’avait pas vu depuis si longtemps. Le capitaine Henry Douglas, s’avançant vers la jeune fille de toute la distance qui les séparait, car elle n’avait pas la force de faire un pas, lui tendit ses deux mains, dans lesquelles miss Mary laissa tomber les siennes, sans dire un mot, tandis que ses larmes silencieuses inondaient son visage.
M. de Favrolle restait frappé de surprise à cette scène inattendue. Il fit un mouvement. Henry Douglas tourna la tête, l’aperçut pour la première fois, et, regrettant d’avoir donné son émotion en spectacle à un tiers, il fit un pas en arrière, et salua M. de Favrolle avec une bonne grâce qui était presque l’excuse d’un manque d’égard involontaire ; puis indiquant du geste miss Mary, il dit simplement et noblement en s’adressant à M. de Favrolle :
— Monsieur, depuis trois ans, je n’avais vu ma chère cousine, mademoiselle Lawson. J’espère que vous me pardonnerez de n’avoir pas remarqué votre présence, ajouta-t-il en s’inclinant.
M. de Favrolle, presque certain qu’il se trouvait en face d’un rival, cédant cependant à certaines habitudes du monde dont on ne peut s’affranchir sans grossièreté, rendit au capitaine Douglas son salut et balbutia quelques-unes de ces paroles insignifiantes qu’on n’achève pas quand on veut être poli sans savoir que dire.
Miss Mary avait suivi avec anxiété les regards des deux jeunes gens ; elle crut pouvoir, par la hardiesse de sa franchise, conjurer un péril dont elle sentait la gravité menaçante. Prenant donc un parti désespéré, elle s’avança vers M. de Favrolle, et dit, en lui désignant Henry du regard :
— Monsieur, j’ai l’honneur de vous présenter mon cousin le capitaine Douglas. Il m’avait été fiancé dans des temps plus heureux ; mais il a continué de m’aimer malgré les malheurs qui ont frappé ma famille : il vient me chercher en France pour nous unir en Angleterre et y recevoir la bénédiction de mon père.
— Qui ai-je l’honneur de saluer ? dit le capitaine Douglas en interrogeant l’institutrice du regard.
— M. de Favrolle, répondit miss Mary, fils d’un ami de M. de Morville, dont il va bientôt épouser la fille, ma chère élève.
— Mademoiselle, reprit avec amertume M. de Favrolle, pâle de dépit et de colère, puisque vous avez si nettement établi votre situation envers monsieur, je crois devoir établir la mienne non moins nettement. Puis il ajouta en se tournant vers Henry : Un moment, monsieur, il est vrai, j’ai été agréé comme prétendant à la main de mademoiselle de Morville, mais dans sa famille j’ai retrouvé miss Mary, avec qui j’avais eu l’honneur de voyager, il y a deux ans, depuis Calais jusqu’à Paris, et…
— Quoi, monsieur, c’est vous ? dit vivement Henry Douglas en interrompant M. de Favrolle avec une expression de cordiale reconnaissance ; c’est vous qui avez veillé sur mademoiselle Lawson avec la sollicitude d’un frère pendant ce long voyage ? Ah ! monsieur, combien je suis heureux de pouvoir vous exprimer toute la gratitude de la famille de miss Mary pour votre délicate et noble conduite. Permettez-moi de vous serrer la main…
En disant ces mots, le capitaine tendit sa main à M. de Favrolle. Mais un bruit sourd et éloigné, semblable à celui que fait un homme enfermé en frappant à une porte afin qu’on la lui ouvre, attira l’attention des trois personnages, qui involontairement tournèrent la tête du côté d’où partait ce bruit, qui paraissait venir d’un corridor assez voisin. Mais un pareil incident ne pouvait longtemps les distraire des sentiments graves ou passionnés dont ils étaient émus. Miss Mary avait remarqué avec effroi qu’au moment où son fiancé avait si cordialement offert sa main à M. de Favrolle, celui-ci, loin de répondre à cette avance amicale, avait dédaigneusement souri en toisant le capitaine Douglas. Celui-ci, du reste, ne s’était pas aperçu de l’attitude hautaine et agressive de son rival, s’étant en ce moment même retourné dans la direction du bruit lointain. Soutenue cependant par une dernière lueur d’espérance, miss Mary, lorsque M. de Favrolle et Henry Douglas eurent oublié leur distraction momentanée, se hâta de dire à son fiancé :
— Oui, M. de Favrolle s’est montré pour moi, pendant ce trajet de Calais à Paris, rempli d’une sollicitude fraternelle, et mon premier soin a été d’écrire à ma mère avec quelle courtoisie M. de Favrolle m’avait accordé sa protection pendant ce long voyage.
— Permettez-moi donc, monsieur, de vous serrer la main, reprit cordialement le capitaine en offrant de nouveau la main à M. de Favrolle, et de vous exprimer la reconnaissance de la famille de miss Mary et la mienne.
— Monsieur, dit M. de Favrolle avec hauteur en se reculant d’un pas au lieu de répondre à l’avance amicale du fiancé de miss Mary, avant de vous serrer la main, je dois vous instruire de certaines circonstances qui ont suivi ma rencontre avec mademoiselle Lawson lors de notre voyage de Paris à Calais. Quand vous m’aurez entendu, monsieur, vous reconnaîtrez, comme moi, que l’expression de votre reconnaissance est au moins prématurée.
Miss Mary se soutenait à peine, elle voyait grossir le danger qu’elle eût voulu à tout prix conjurer. Le capitaine Douglas, fort surpris de la réponse de M. de Favrolle, qu’il n’interprétait pas encore comme une offense, interrogeait miss Mary du regard afin de deviner la cause de l’étrange accueil de M. de Favrolle, auquel il répondit d’ailleurs avec une dignité polie :
— Il me serait difficile, pénible même, monsieur, de croire que je m’abusais en vous rendant grâce de votre courtoisie envers mademoiselle Lawson.
— Monsieur, reprit M. de Favrolle, mademoiselle Lawson vous a dit vrai : des projets de mariage ont été arrêtés entre moi et mademoiselle de Morville ; mais ce que mademoiselle Lawson ne vous a pas dit, c’est que la retrouvant au château de Morville, l’ardent et respectueux amour qu’elle m’avait inspiré pendant notre voyage de Calais à Paris s’est réveillé plus passionné que jamais. Aussi je suis décidé à tout… entendez-vous, monsieur ? je suis décidé à tout pour épouser mademoiselle Lawson.
— Eh bien, monsieur, répondit le capitaine Douglas avec un calme parfait après avoir attentivement écouté son rival, je ne vois dans vos paroles que la preuve d’un sentiment fort honorable pour vous et pour miss Mary. Vous l’aimez ? cela ne m’étonne en rien. Je sais tout ce qu’elle vaut. Vous désirez l’épouser ? cela me surprend d’autant moins que j’ai le même désir que vous ; la seule question est de savoir si ma cousine vous préfère.
— Monsieur ! s’écria M. de Favrolle de plus en plus irrité par le sang-froid de son rival, j’aime miss Mary autant et aussi honorablement que vous l’aimez ; mon nom vaut le vôtre, ma position dans le monde est égale à la vôtre, et je ne vois pas pourquoi vous me seriez préféré !
— Quant à cela, vous avez, monsieur, parfaitement raison, reprit le capitaine Douglas avec son flegme britannique. Votre courtoisie envers mademoiselle Lawson pendant votre voyage avec elle prouve que vous êtes un galant homme, et que vous ne sauriez que très honorablement aimer une personne aussi digne de respect que miss Mary. Quant à votre nom et à votre position dans le monde, ils doivent être des plus convenables, puisque M. et madame de Morville consentaient à vous accorder la main de leur fille. Nous avons donc, monsieur, des titres égaux à l’affection de miss Mary ; mais, libre de son choix, elle m’accorde la préférence. Cette préférence n’a rien de blessant pour vous ; aussi je ne vois véritablement pas pourquoi vous avez refusé la main que je vous offrais fort cordialement, je vous assure.
— Monsieur, s’écria M. de Favrolle, mis hors de lui-même par le calme bon sens de Henry Douglas, en France l’on ne serre la main d’un rival qu’après avoir loyalement croisé le fer avec lui.
— Ah ! monsieur, s’écria miss Mary en se tournant vers M. de Favrolle et ne pouvant contenir un sanglot déchirant, que vous ai-je donc fait ?
Le capitaine Douglas tâcha de calmer du geste et du regard la douleur de miss Mary et reprit, s’adressant à M. de Favrolle avec une dignité froide :
— En France, comme en Angleterre, monsieur, des hommes bien élevés, comme nous le sommes tous deux, ne prononcent jamais légèrement de graves paroles, surtout lorsque ces paroles peuvent à grand tort inquiéter une personne digne du plus profond respect. Et un coup d’œil de Henry Douglas sembla dire à M. de Favrolle : Je serai à vos ordres quand il vous plaira, mais n’alarmez pas ainsi miss Mary. Puis, certain d’avoir été compris par son rival, il poursuivit :
— Je crois comme vous, monsieur, que des rivaux qui ont de sérieuses raisons d’inimitié peuvent et doivent en appeler aux armes ; mais, j’en suis certain, monsieur, désirant comme moi dissiper les alarmes de mademoiselle Lawson, qui s’est méprise sur le sens de vos paroles, vous direz comme moi que rien dans notre position ne peut motiver la résolution qu’elle semble redouter.
— Je dis comme vous, monsieur, car, non moins que vous, je tiens à dissiper les alarmes de mademoiselle Lawson, répondit M. de Favrolle en accentuant cette phrase à double entente de façon à faire comprendre à son rival qu’il devinait sa pensée.
Miss Mary, délivrée d’un doute affreux, essuya ses larmes, et dans l’élan de sa joie, dit à M. de Favrolle d’une voix tremblante d’émotion :
— Excusez-moi d’avoir douté un instant de votre cœur.
M. de Favrolle s’inclinait, souriant d’un air contraint, dissimulant à peine sa colère, lorsque le même bruit qui avait attiré déjà l’attention des trois personnes réunies dans le salon retentit de nouveau.
— Il faut qu’il y ait quelqu’un enfermé dans l’une des pièces voisines, dit M. de Favrolle ; mais à peine avait-il prononcé ces mots, et pendant que le bruit continuait de se faire entendre, Alphonsine et Gérard entrèrent vivement dans le salon, et la jeune fille s’élança dans les bras de son institutrice, en disant :
— La voilà ! la voilà, cette chère et bonne miss ! Du moins nous pourrons lui faire nos adieux !
M. de Favrolle, à l’aspect de mademoiselle de Morville, et dans la position où il se trouvait envers miss Mary et Henry Douglas, sentit sa situation si fausse, si pénible, qu’involontairement il recula derrière le paravent, et ainsi échappa momentanément aux regards d’Alphonsine et de Gérard.
Sans remarquer la présence de Henry Douglas, la jeune fille s’était dès son entrée jetée dans les bras de son institutrice, qu’elle embrassait tendrement en lui disant :
— Oh ! la méchante miss, qui part ainsi sans nous laisser du moins la consolation de lui faire nos adieux !
— Ce n’est que ce matin, en interrogeant le cocher de mon père, ajouta Gérard, que nous avons appris que vous avez passé la nuit à l’auberge de Saint-Hilaire. Alphonsine et moi nous y sommes descendus, et là nous avons appris que vous vous étiez fait conduire ici.
— Et au risque d’affronter la colère de notre oncle, reprit Alphonsine, nous sommes venus vous retrouver chez lui. Mais, ajouta la jeune fille en se retournant, où est-il donc, ce terrible et cher oncle ? Je me sens décidée à tout pour…
La jeune fille n’acheva pas, car elle venait d’apercevoir le capitaine Douglas. Elle le contempla en silence pendant quelques secondes, puis, regardant miss Mary d’un œil pénétrant, elle lui dit avec un sourire charmant :
— Je devine, c’est lui, n’est-ce pas ?
Puis, s’avançant vers le fiancé de son institutrice, avec cette aisance qui accompagne presque toujours une grande simplicité, elle lui dit :
— Monsieur, vous ne me connaissez pas, mais moi, je vous connais et je vous aime depuis hier matin, ajouta-t-elle en jetant un regard d’intelligence à son institutrice, car depuis hier matin, je sais que notre miss Mary vous devra tout le bonheur qu’elle mérite.
Et en parlant ainsi, Alphonsine tendit gracieusement sa main à Douglas, qui la retint un instant dans les siennes en répondant avec un accent de gravité douce :
— Et moi aussi, je vous connais, mademoiselle ; je sais que vous êtes le cher et doux orgueil de ma cousine ; toute sa famille vous connaît, vous aime, et il y a cinq jours son vieux et honorable père, sa mère, ses sœurs m’ont répété au moment où je partais pour la France : « Dites à l’aimable élève de Mary que nous l’embrassons comme une fille, comme une sœur, et que jamais nous n’oublierons combien, grâce à la bonté de son cœur, à la délicatesse de son âme, elle a rendu facile et charmante la tâche de la pauvre exilée qui revient près de nous. »
En achevant ces affectueuses paroles, Henry Douglas s’inclina et baisa respectueusement la main de la jeune fille. Alphonsine rougit, deux larmes brillèrent dans ses yeux, et elle dit à miss Mary :
— Vous lui aviez donc parlé de moi dans vos lettres ?
— Comment ne pas confier à ceux qu’on aime tous les bonheurs qui nous arrivent ? répondit tendrement l’institutrice à Alphonsine.
M. de Favrolle, toujours caché aux yeux des nouveaux arrivants, et absorbé dans sa douloureuse agitation, avait été flatté, presque malgré lui, de cet hommage rendu par Henry Douglas à Alphonsine, cette jeune fille qu’il avait dû épouser.
Miss Mary, prenant alors Gérard par la main, et le présentant au capitaine, lui dit :
— Monsieur Gérard de Morville, le frère de ma chère Alphonsine.
— Nous sommes aussi d’anciennes connaissances, quoique nous ne nous soyons jamais vus, monsieur, reprit cordialement Henry. Mademoiselle Lawson m’a souvent écrit tout le bien qu’elle pensait du frère de son élève ; aussi je m’estimerai heureux, monsieur Gérard, si vous m’accordez votre amitié avec autant de plaisir que je vous offre la mienne.
Gérard, aussi surpris que touché en apprenant que miss Mary, dans ses lettres, avait parlé de lui avec assez d’éloges pour qu’un homme de l’âge du capitaine Douglas lui demandât son amitié, trouva dans cette preuve d’affectueuse estime une douce consolation aux amers chagrins que lui avait causés son fol amour pour miss Mary. Jetant sur elle et sur Alphonsine un regard que toutes deux comprirent, il répondit à Douglas :
— Monsieur, souvent miss Mary nous disait, à ma sœur et à moi, que toujours l’estime des gens de cœur nous récompensait de nos bons sentiments ou de notre courageuse résignation dans les moments difficiles de notre vie… Je ne m’attendais pas à voir sitôt réalisées les bonnes paroles de miss Mary.
— Ni moi non plus, monsieur Henry, et vous rendez le frère et la sœur bien fiers, bien heureux, reprit Alphonsine d’un air placide et presque gai qui surprit profondément miss Mary, car en ce moment elle songeait à l’amour de la jeune fille pour M. de Favrolle.
L’étonnement de l’institutrice n’échappa pas à Alphonsine, qui lui dit avec un doux sourire, en lui faisant un signe d’intelligence :
— Je devine la cause de votre surprise, chère miss Mary : c’est que, voyez-vous, depuis hier, il s’est passé bien des choses !
— Est-ce un mystère, chère enfant ?
— Oh ! non. Ainsi, hier soir, croyant que je ne vous reverrais plus, j’ai beaucoup pleuré, mais après avoir beaucoup pleuré, j’ai beaucoup réfléchi ; j’ai songé que ma vie allait changer, puisque jusqu’ici j’avais toujours eu en vous, chère miss Mary, un guide aussi écouté qu’aimé ; alors, savez-vous à quoi j’ai passé la première nuit de notre séparation ? j’ai rappelé à ma mémoire et retrouvé dans mon cœur vos leçons, vos conseils ; vous me les aviez donnés avec une si gracieuse tendresse qu’en ce temps-là ils ne me semblaient être que de charmantes conversations. Jugez de mon bonheur, de ma surprise, lorsque j’ai senti, à mes bonnes résolutions, à mon courage, que ces germes excellents, semés par vous depuis deux ans, s’étaient développés en moi, avaient grandi et porté leurs fruits. Alors, pour la première fois peut-être, chère miss Mary, j’ai compris et béni l’éducation que je vous dois. Et voulez-vous une preuve toute récente, monsieur Henry, de la salutaire influence des exemples, des enseignements de miss Mary ? figurez-vous qu’il est venu un jour fatal où, le croiriez-vous… j’ai été jalouse, oui, jalouse d’elle…
Au moment où Alphonsine prononçait ces mots, l’institutrice jeta un regard rempli d’anxiété vers le paravent derrière lequel se tenait toujours caché M. de Favrolle, tandis que, se souvenant alors que ce dernier avait dû épouser mademoiselle de Morville, le capitaine Douglas partageait l’inquiétude de l’institutrice.
— Si je fais l’aveu de cette jalousie, monsieur Henry, reprit Alphonsine avec une touchante naïveté, c’est autant pour me punir d’avoir cédé à cet odieux sentiment que pour rendre hommage à la loyauté de miss Mary et au courage que j’ai puisé dans ses enseignements ; oh ! sans eux j’aurais longtemps souffert de cet horrible mal de la jalousie ! mais miss Mary n’a eu qu’un mot à me dire, et je l’ai crue. Comment ne pas la croire ? Et ce n’est pas tout, monsieur Henry, vous allez reconnaître combien m’a été profitable l’influence de cette chère miss.
— Mon enfant, dit l’institutrice de plus en plus inquiète, ainsi que le capitaine Douglas, en songeant à M. de Favrolle et voyant le tour que prenait l’entretien, à quoi bon parler du passé ?
— À quoi bon ! chère miss Mary ? reprit Alphonsine. Mais à dire très haut devant celui qui vous aime si dignement tout ce que je vous dois, afin qu’il vous chérisse davantage encore. Ainsi, monsieur Henry, en apprenant que l’on m’avait préféré miss Mary, j’ai d’abord éprouvé autant de douleur que d’humiliation. Mais bientôt ma raison, mon cœur, mon courage, ont vaincu ces mauvais ressentiments. Je me suis demandé comment j’avais pu me révolter, m’étonner même de la préférence que l’on accordait à miss Mary. Ne m’était-elle pas supérieure en toutes choses, savoir, talent, charme, esprit, beauté ? Aussi j’ai bientôt compris qu’ayant à choisir entre la lumière et son reflet, M. de Favrolle avait dû préférer miss Mary.
À ces mots, Henry Douglas chercha machinalement des yeux son rival. Mais celui-ci, subissant de plus en plus le charme de cette jeune fille qu’il avait un moment dédaignée, l’écoutait avec un intérêt croissant.
Alphonsine, s’étant méprise au mouvement du capitaine, reprit naïvement :
— Je ferai cesser votre étonnement en deux mots, monsieur Henry. Un mariage avait été convenu entre moi et le fils d’un ancien ami de mon père. De ce mariage, j’étais heureuse, oh ! bien heureuse. Mais M. de Favrolle ayant retrouvé miss Mary près de moi, m’a oubliée pour elle. Quoi de plus simple ? Ce n’est pas vous surtout, monsieur Henry, que cette préférence surprendra.
— Chère Alphonsine, dit l’institutrice touchée de ces paroles, quel noble cœur que le vôtre !
— Ne m’avez-vous pas enseigné à être modeste, chère miss Mary ? Ne m’avez-vous pas aussi enseigné que souvent dans la vie, il y a mieux à faire qu’à se résigner passivement ? Alors, qu’ai-je fait ? Après avoir reconnu que M. de Favrolle, sans être coupable, avait pu vous aimer mieux que moi, j’ai senti qu’il était de mon devoir, de ma dignité de rendre à M. de Favrolle l’engagement d’honneur pris par lui envers ma famille.
— Quoi ! s’écria Gérard, tu veux…
— Comment ! reprit Alphonsine avec un accent d’amical reproche en interrompant son frère, tu t’étonnes de ce que je sois la première à rompre un engagement contracté en d’autres temps, dans d’autres circonstances ? Que veux-tu, pauvre frère, tout est changé ; ce projet, jadis plein de promesses de bonheur pour moi, n’est plus aujourd’hui qu’un sujet de contrainte, d’embarras pour M. de Favrolle.
— Parce que M. de Favrolle a manqué à sa parole, dit amèrement Gérard ; c’est sa faute !
— Pauvre frère ! répondit Alphonsine d’une voix attendrie, en faisant ainsi allusion à l’amour qu’il avait lui-même éprouvé pour miss Mary, je ne puis m’empêcher de plaindre sincèrement ceux-là qui aiment ou ont aimé sans espoir… Le départ de miss Mary portera un coup cruel à M. de Favrolle, et au milieu de son chagrin, je lui épargnerai du moins une démarche délicate et pénible envers nos parents, en lui rendant sa parole. Puisse-t-il trouver une compagne qui l’aime autant que je l’aurais aimé ! Et pourquoi ne dirais-je pas que je l’aime ? reprit Alphonsine d’une voix émue, répondant à un mouvement de son institutrice qui songeait à M. de Favrolle, témoin invisible de cette scène.
Celui-ci, touché jusqu’aux larmes de cet amour si naïf, si digne, si résigné, commençait à regretter cruellement le caprice insensé auquel il avait sacrifié peut-être le bonheur de sa vie, et il écoutait cette charmante enfant avec une émotion inexplicable, retrouvant en elle toutes les rares qualités d’esprit et de cœur qu’il adorait dans miss Mary.
Alphonsine continua, s’adressant à son institutrice et à Gérard :
— Oui, pourquoi n’avouerais-je pas que j’aime M. de Favrolle ? Il y a quatre mois, mon père, ma mère, et toi-même, mon frère, ne me disiez-vous pas tous de l’aimer ? A-t-il donc perdu depuis lors les qualités que l’on vantait en lui ! doit-il être moins estimé, moins honoré parce qu’il a aimé miss Mary ? Non ? non, une pareille préférence le relève au contraire à mes yeux, et si je désire délier M. de Favrolle de sa promesse…
— Lui vous supplie, mademoiselle, de lui permettre de ne pas manquer à l’engagement qu’il a été trop heureux de prendre envers votre famille ! s’écria M. de Favrolle en sortant de l’endroit où il s’était caché jusqu’alors, et s’avançant vers Alphonsine.
La jeune fille ne put retenir un cri de surprise, et cacha sa rougeur et sa confusion dans le sein de miss Mary en se jetant dans ses bras.
— Toi ici ! s’écria Gérard ; toi ici, Théodore ! Tu étais là ?
— Oui… oui, j’ai tout entendu, ajouta M. de Favrolle en essuyant ses larmes ; oui, j’ai tout entendu, mon frère. Ah ! la noble et courageuse enfant ! Et j’ai pu la méconnaître ! Gérard, crois-tu qu’elle me pardonne ? Ah ! ma vie serait consacrée à lui faire oublier les chagrins que je lui ai causés !
— Je vais lui demander ta grâce, mon cher Théodore, et j’ai bon espoir, dit Gérard en se rapprochant de sa sœur, qui, enlacée dans les bras de miss Mary, cachait son visage sur son épaule.
M. de Favrolle, s’avançant alors vers le capitaine Douglas, lui dit :
— Monsieur, entre gens de cœur l’on ne rougit pas d’avouer ses torts ; j’avoue les miens et je vous prie de les oublier.
— Ils le sont déjà, monsieur ; je ne me souviens que de votre courtoisie envers mademoiselle Lawson, lors de son arrivée en France. Je vous avais dans ma gratitude tendu la main ; permettez-moi de vous la tendre encore.
M. de Favrolle serrait cordialement la main du capitaine Douglas, lorsque Alphonsine, à qui Gérard avait parlé tout bas, et n’osant pas encore relever la tête, qu’elle appuyait sur l’épaule de son institutrice, murmura d’une voix émue ces paroles que M. de Favrolle entendit :
— Chère miss Mary, est-ce que je vous ressemble, pour qu’il puisse m’aimer ? Dites-le-moi, je vous croirai.
L’institutrice allait répondre, lorsque M. et madame de Morville entrèrent dans le salon. M. de Favrolle courut vers eux et s’écria :
— Monsieur, je vous en conjure au nom du bonheur de ma vie, et j’ose dire maintenant au nom du bonheur de votre fille, daignez oublier un moment d’égarement, de folie, et consentez à mon mariage avec mademoiselle Alphonsine.
Ce touchant entretien fut interrompu par les éclats de voix de M. de la Botardière que l’on entendait dans la pièce voisine, dont M. et madame de Morville avaient laissé la porte ouverte.
M. et madame de Morville, leurs enfants, miss Mary, Douglas et M. de Favrolle, réunis dans le salon, s’entre-regardaient assez inquiets de l’entrée de M. de la Botardière, qui semblait furieux, à en juger par les paroles suivantes de l’irascible vieillard qui continuait de quereller son serviteur dans la pièce voisine :
— Misérable Ambroise ! Infernal sourd, me laisser enfermé pendant une heure !
— Monsieur, reprenait Ambroise, le vent avait poussé la porte de l’antichambre et ainsi fermé la porte en dehors, de sorte que vous ne pouviez sortir. Est-ce ma faute, à moi ?
— Mais je cognais, je frappais à me briser les poings, maudit sourd !
— Il est impossible, monsieur, que vous ayez frappé aussi fort, car je n’ai rien entendu, sinon un tout petit bruit. J’ai cru que c’était une persienne qui battait. Si vous aviez cogné suffisamment, je serais allé vous ouvrir.
— A-t-on idée d’une brute pareille ! il me fait des reproches. Réponds : Cette demoiselle est-elle restée dans le salon ?
— Plaît-il, monsieur ?
— Je te demande si miss Mary est dans le salon ! cria M. de la Botardière de sa voix la plus retentissante ; m’entends-tu cette fois ?
— Vous criez, monsieur, assez fort pour cela : on vous entendrait d’une lieue. Oui, oui, cette demoiselle est dans le salon avec tous les autres.
— Comment, tous les autres ! reprit M. de la Botardière stupéfait. Quels autres ?
— Plaît-il, monsieur ?
Mais le vieillard, sans répondre à Ambroise, entra précipitamment dans le salon, où il se crut seul avec miss Mary, car, profitant de l’entretien d’Ambroise et de son maître, elle avait prié les autres de se tenir cachés derrière l’hémicycle formé par le paravent. Aussi M. de la Botardière grommela-t-il entre ses dents :
— Que diable me chante ce sourdeau d’Ambroise, avec ses autres ? Mais, prenant bientôt son plus gracieux sourire et saluant de son air le plus galant, il dit :
— Chère miss Mary, je puis maintenant vous expliquer mes paroles… Je vous aurais laissée moins longtemps seule, sans la sottise de ce misérable sourdeau d’Ambroise, qui m’a tenu enfermé pendant une heure !
L’institutrice, remarquant que M. de la Botardière avait quitté son molleton du matin pour un habit noir et une cravate d’une blancheur aussi éblouissante que celle de son gilet, et se souvenant des dernières paroles du vieillard, en devina le sens ; elle n’avait plus qu’à triompher des rancunes de M. de la Botardière, à l’endroit de M. et de madame de Morville, pour accomplir la promesse faite par elle aux parents d’Alphonsine. L’espoir du succès redoubla le courage de miss Mary, et elle dit au vieillard, qui, le sourire aux lèvres, s’apprêtait à lui expliquer la cause de la transformation de son molleton en habit noir :
— Monsieur, vous est-il indifférent de continuer notre conversation dans la pièce voisine ?
— Sans doute, mademoiselle, mais…
— En ce cas, monsieur, soyez assez bon pour m’y accompagner, répondit miss Mary en passant devant M. de la Botardière, craignant que son amour-propre ne fût incurablement blessé en apprenant bientôt que son entrevue avec l’institutrice avait eu des témoins cachés.
— Chère demoiselle, dit M. de la Botardière lorsqu’il fut seul avec miss Mary dans la pièce voisine du salon, un galant homme doit se conformer aux volontés, je dirai même aux caprices des dames, puisqu’au lieu de continuer notre entretien dans le salon, vous préférez le continuer ici ; or, en deux mots, voilà ce que j’ai à vous dire : J’ai soixante ans, et autant de mille livres de revenu en terre que j’ai d’années. Ma solitude me paraîtrait maintenant doublement insupportable, si je ne la partageais pas avec vous… J’accueillerai votre famille avec les égards et l’affection qu’elle mérite, si elle veut se fixer auprès de nous ; en un mot, chère miss Mary, voulez-vous devenir madame la baronne de la Botardière ?
— Monsieur, avant de répondre à une offre si honorable pour moi…
— Mademoiselle, tout l’honneur est de mon côté.
— Je désirerais savoir si véritablement votre solitude vous pèse autant que vous l’affirmez.
— Chère miss Mary, je vous en donne ma parole d’honneur, je finissais par m’ennuyer comme un mort, oui, car dans notre premier entretien vous aviez lu dans mon cœur, un faux amour-propre m’empêchant de vous avouer la triste vérité.
— De grâce ! réfléchissez, monsieur, à vos paroles ; je serais aux regrets qu’elles ne fussent pas sincères.
— Aussi vrai que j’ai été baptisé du nom de Joséphin, la vie n’était plus tenable pour moi. Si vous saviez ce que c’est à mon âge d’être à la merci de serviteurs stupides comme ce sourdeau d’Ambroise qui tout à l’heure encore m’a laissé enfermé au risque de me faire étrangler de colère !
— Ce n’est là, monsieur, qu’un accident, et je crains toujours que votre résolution ne soit pas suffisamment réfléchie.
— Chère miss Mary, je vous jure…
— Permettez ; vous me parlez de votre désir de voir ma famille se fixer près de nous et du bonheur que vous trouveriez dans l’intimité de ces douces relations ?
— Certainement, c’est maintenant mon rêve, mon unique désir !
— Pourtant, vous avez une famille, et vous êtes resté deux ans éloigné d’elle ? Comment voulez-vous que je croie à…
— Chère miss Mary ! s’écria M. de la Botardière en interrompant l’institutrice, je vais, d’un mot, vous prouver que je suis plus sensible que vous ne le pensez à la douceur du sentiment familial.
— Voyons cette preuve, monsieur.
— Vous savez quels justes griefs j’ai contre ma famille ?…
— Je n’admets pas du tout, monsieur, la justesse de ces griefs.
— Enfin, n’importe ! Eh bien ! malgré ces griefs qu’à tort ou à raison j’avais contre mon neveu, cent fois j’ai été sur le point de lui pardonner, oui, et de lui dire : Vivons amis comme par le passé. Une fausse honte m’a seule retenu.
— Je me rends, monsieur, à l’accent de sincérité de vos paroles ; soit, je vous crois. Donc, le comble de vos désirs serait de passer désormais votre vie au milieu d’une famille remplie de tendresse et de vénération pour vous ?
— Oui, avec une jeune et charmante personne comme vous, chère miss Mary, qui, comme vous, soit remplie de grâce, de sagesse et de talent.
— En admettant que le portrait ne soit pas étrangement flatté, monsieur, je crois votre désir parfaitement réalisable.
— Ah ! chère miss !
— Cependant, un mot encore, monsieur ; le sujet est fort délicat, et vous savez ma franchise…
— Je la connais, je l’admire, je l’adore, chère miss !
— Vous m’avez dit votre âge ?
— Soixante ans.
— J’en ai vingt-quatre.
— Sans doute la différence est grande.
— Très grande ; aussi je vous tromperais indignement, et d’ailleurs, vous ne me croiriez pas, si je vous disais qu’une femme de mon âge peut éprouver de l’amour…
— Pour un vieillard ? Quoi ! chère miss Mary, vous me croyez assez fou, assez ridicule pour avoir une pareille prétention ? Non ! non ! en retour de l’affection toute paternelle que je vous offre, je n’attendrai de votre part qu’une affection toute filiale.
— À merveille, monsieur ; ainsi, pour nous résumer, si je vous comprends bien, votre seul désir est de goûter les douces joies de la famille auprès d’une jeune et charmante personne, remplie de grâce, de talents, de sagesse, et qui aurait pour vous la tendresse, les soins d’une fille pour son père ?
— Oui, oui, chère miss Mary ! Voilà mon seul désir, voilà mon rêve ! s’écria M. de la Botardière avec ravissement, en s’apprêtant à se jeter aux genoux de l’institutrice ; mais celle-ci, prévenant à temps cette galante génuflexion, prit M. de la Botardière par la main, et le reconduisant, au salon, où il la suivit machinalement, quoique un peu surpris, elle lui dit d’une voix pénétrée :
— Monsieur, personne ne saura… mais je n’oublierai jamais l’offre si honorable que vous, venez de m’adresser ; je ne puis malheureusement l’accepter, car depuis trois ans je suis fiancée à un homme que j’aime tendrement et que je vais épouser. Mais vous allez trouver réunie chez vous une famille trop heureuse de vous entourer de sa tendresse, de son respect, et une jeune fille remplie de grâces, de talents, de sagesse, qui ne demande qu’à vous chérir comme un père.
En disant ces mots qui stupéfièrent et abasourdirent M. de la Botardière, miss Mary l’avait conduit à la porte du salon, qu’elle ouvrit en disant :
— Alphonsine ! Gérard ! venez embrasser votre cher oncle !
À peine miss Mary avait-elle prononcé ces mots, que la jeune fille, accourant avec son frère, sautait au cou du vieillard qui fut bientôt entouré de M. et de madame de Morville.
La vue de sa famille, qu’il s’attendait si peu à rencontrer chez lui, porta un dernier coup à M. de la Botardière. Le refus de miss Mary lui avait causé une peine profonde, et avant qu’il eût surmonté cette douleur, il avait été dix fois serré entre les bras d’Alphonsine, de son frère et de M. de Morville, qui, profondément émus, lui disaient :
— Cher et bon oncle, enfin vous nous êtes rendu !
Si bourru, si grondeur, si rancunier que fût le vieillard, ces témoignages de sincère affection le touchèrent d’autant plus, qu’il était disposé à l’attendrissement par son chagrin du refus de miss Mary. À ce chagrin, il trouvait à l’instant même une consolation dans l’affectueux empressement de sa famille ; aussi, malgré lui, ses yeux se remplirent de larmes, et serrant entre ses bras Alphonsine et Gérard, il dit à l’institutrice d’un ton de triste reproche :
— Ah ! miss Mary… miss Mary !
— N’ai-je pas tenu ma promesse ? lui répondit la jeune fille avec son doux sourire. N’êtes-vous pas au milieu d’une famille qui vous aime ? Ne pressez-vous pas contre votre cœur une charmante jeune fille qui vous chérit comme un père ?
— Allons, reprit le vieillard en tendant la main à son neveu, tout est oublié. Ainsi, vous m’aimerez un peu, vous autres, malgré mes gronderies ?
— Nous vous aimerons, cher oncle, reprit madame de Morville, à condition que vous nous gronderez beaucoup.
— Alors, soyez tranquille, je saurai conserver votre affection, reprit le vieillard. Puis, voyant s’avancer vers lui M. de Favrolle, que M. de Morville voulait lui présenter, il s’écria :
— Mon cauchemar du voyage de Calais !
— Monsieur Théodore de Favrolle, le mari de ma fille, mon cher oncle, dit M. de Morville.
— Je suis maintenant de la famille, monsieur, reprit le futur époux d’Alphonsine en s’inclinant devant M. de la Botardière. J’ai aussi droit à vos gronderies ; je ne demande qu’à expier le malencontreux voyage de Calais pendant lequel j’ai eu, monsieur, bien malgré moi, le malheur de vous déplaire.
— Bon, bon, monsieur le sournois ! répondit le vieillard, je vous pardonne à une condition : c’est qu’aux noces de ma nièce, on servira des poulets à la Botardière, comme disaient ces mauvais garnements vos complices ! Hein, vous les rappelez-vous, miss Mary, ces insolents drôles ? ajouta le vieillard en se retournant vers l’institutrice qu’il cherchait du regard et qu’il vit s’avancer vers lui, tenant le capitaine Douglas par la main.
Encore un ! s’écria M. de la Botardière. Ah çà ! aujourd’hui tout le monde s’est donc donné rendez-vous chez moi ?
— Oui, monsieur, et ce rendez-vous a eu pour résultat le bonheur de tout le monde, répondit miss Mary. Permettez-moi de vous présenter M. Henry Douglas, mon fiancé, qui, par ordre de mon père, est venu me chercher en France.
Le capitaine Douglas s’inclina devant le vieillard, dont les traits s’attristèrent de nouveau, et il dit en soupirant au fiancé de miss Mary :
— Ah ! monsieur, vous êtes heureux, vous épousez une digne personne !
Miss Mary fit à Alphonsine un signe qu’elle comprit. Aussi, prenant les mains du vieillard, elle lui dit :
— Mon bon oncle ! nous parlerons souvent de miss Mary.
— Je l’espère bien, répondit le vieillard en embrassant sa nièce ; car, après tout, miss Mary a été, je crois, un peu notre institutrice à tous !
— Ah ! mon cher oncle ! vos paroles sont plus vraies que vous ne le croyez peut-être ! reprit madame de Morville d’une voix émue en adressant à miss Mary un regard qui semblait à la fois lui demander pardon et lui exprimer sa reconnaissance. Le souvenir de miss Mary nous sera cher à tous !
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Quelques instants après de touchants adieux, M. et madame de Morville, leurs enfants, M. de Favrolle et M. de la Botardière étaient réunis sur le perron du château ; tous, le cœur gonflé, suivaient d’un regard attristé une voiture de poste sur le siège de laquelle était monté le digne William. Au tournant de l’avenue qui se prolongeait devant l’entrée principale, miss Mary, se penchant à la portière de la voiture, agita une dernière fois son mouchoir en signe d’adieu…
Puis, les hôtes inattendus de M. de la Botardière rentrèrent avec lui au château.
Un mois plus tard, à Dublin, au moment où, après la bénédiction nuptiale, prononcée dans le temple, la famille et les amis de Henry Douglas et de miss Mary Lawson se pressaient pour signer l’acte de mariage, deux femmes se présentèrent à leur tour.
La plus âgée écrivit sur le registre :
Louise de Morville.
La plus jeune :
Alphonsine de Favrolle.
Le capitaine Douglas, debout près du pasteur, montra du doigt ces deux mots à sa jeune femme, assiégée de félicitations ; miss Mary poussa un cri de joie, reçut dans ses bras sa charmante élève, et vit près d’elle madame de Morville.
— Est-ce que vous ne nous attendiez pas ? lui dit à demi-voix Alphonsine ; de tous ceux qui vous aiment, n’est-ce pas moi qui vous aime le mieux ? Vous qui m’avez appris à être heureuse, mon seul charme n’est-il pas de vous ressembler ?
FIN DE MISS MARY.
Depuis plus d’une heure le soleil avait quitté l’horizon. Pas un nuage ne troublait l’azur foncé du ciel, aussi loin que la vue pouvait s’étendre. Sur le port si animé, si bruyant pendant toute la durée du jour, le calme commençait à renaître. Les dernières voix des matelots se mêlaient confusément au bruissement monotone des vagues qui venaient expirer sur la grève. À travers les voiles d’un faible crépuscule on voyait les navires en rade se balancer mollement sur leurs ancres, livrant à la brise capricieuse les banderoles bariolées qui pavoisaient leurs mâts. À une journée brûlante succédait un soir plein de fraîcheur.
Pour les hommes de travail, pour les malheureux qui avaient fourni péniblement leur labeur quotidien, l’heure du repos était venue ; pour les riches sonnait l’heure du plaisir.
L’hôtel du consulat persan à Marseille s’était illuminé comme un palais magique. Le consul réunissait une société brillante et choisie. L’état-major de la 8e division, les hauts dignitaires de la préfecture, les consuls des différentes nations, établis dans ce port ouvert à l’industrie levantine, avaient été conviés à cette fête.
La diversité du costume des hommes, l’éclat de la toilette des femmes, fatiguaient le regard. Il flottait dans l’atmosphère des salons, des senteurs délicieuses et des parfums de fleurs qui pénétraient les sens déjà émus par le murmure des voix et les lueurs étincelantes des lumières, des dorures et des pierreries.
Le représentant des intérêts persans n’avait reculé devant aucun sacrifice pour donner à ses invités une haute idée de sa munificence et du luxe asiatique.
La fatigante cérémonie des réceptions était en partie achevée. En attendant l’heure du concert et celle du bal, les conversations s’étaient engagées. Assises autour du grand salon, les femmes formaient une double guirlande du plus gracieux effet et du plus suave parfum. Elles causaient entre elles, minaudant, souriant, critiquant, tandis que les hommes réunis en groupes au milieu de cette chaîne enivrante et légère, discutaient les questions à l’ordre du jour.
Le consul, homme entre les deux âges, se faisait remarquer par la richesse éblouissante de son costume oriental. Il s’entretenait avec l’inspecteur des constructions navales, lorsqu’il s’opéra un mouvement à la porte du premier salon ; les yeux se portèrent simultanément de ce côté, et les hommes qui masquaient l’entrée s’écartèrent pour livrer passage.
Un valet annonça :
— Monsieur et madame Bergeval !
Quelque bourgeois que fût ce nom, il n’en produisit pas moins une sensation sur la majeure partie de l’assemblée. Les hommes s’avancèrent pour voir ; les dames chuchotèrent avec vivacité, et quelques rires furent étouffés derrière les éventails.
Le consul alla à la rencontre des arrivants. Il salua le mari et offrit sa main à la femme avec une courtoisie tout européenne. Elle paya d’un sourire cette marque de déférence et fit son entrée triomphale dans le grand salon où plus d’une figure dépitée l’accueillit.
Madame Bergeval était grande ; elle avait cette beauté parfaitement assise, exactement irréprochable qui, chez la femme, ne s’épanouit qu’à une certaine maturité d’âge. Quand sa taille, après avoir atteint son entier développement, joint une souplesse pleine d’abandon à un léger embonpoint qui dessine plus hardiment les contours, et que les traits du visage plus prononcés donnent un caractère de noblesse calme et d’assurance radieuse à sa physionomie, alors la femme est belle ! car elle est complète, elle jouit de toute la plénitude de ses charmes, de ses facultés ; elle a le sentiment de sa valeur et de sa puissance ; son front rayonne, son regard pénètre, sa bouche a des sourires où se peint la tendresse ; sa voix, des inflexions tour à tour harmonieuses et vibrantes qui remuent le cœur. C’est surtout dans sa marche, dans le moindre de ses gestes, dans le plus simple de ses mouvements qu’il y a une volupté inexprimable, une langueur suprême dont on se sent l’âme ravie et qui exerce un ascendant irrésistible sur les êtres capables d’apprécier cette perfection de la beauté féminine.
Une toilette élégante rehaussait encore les avantages naturels de madame Bergeval.
Pendant que, conduite par le consul et entourée de plusieurs personnes qui lui adressent de ces banalités qu’on récite à toute femme à la mode, elle cherche à gagner une place, esquissons rapidement le portrait de son mari.
C’était un homme de trente-huit ans au plus, maladif, grêle, au front intelligent, mais prématurément dévasté, au regard brillant, expressif, au visage triste, fatigué et d’une extrême pâleur. On devinait aisément qu’il faisait effort pour dissimuler sous un sourire, qui parfois contractait ses lèvres, une de ces intimes souffrances dont l’âme est le foyer.
Il y avait pour l’observateur un singulier contraste à établir entre cet homme qu’un vent de malheur avait flétri avant les années, et cette femme, la sienne, resplendissante de santé, et qui paraissait caressée par les ailes fugitives du bonheur. Certes, celui qui se fût arrêté à cette pensée eût cherché à connaître le mystère de ces deux existences. Quel mal avait atteint l’une de ces créatures, sans frapper l’autre ? Cet homme accomplissait-il une œuvre de dévouement en gardant pour lui seul un secret fatal qui le tuait et dont la révélation eût ravi à sa femme le calme et la sérénité ?... Ou bien, étaient-ils donc si peu unis l’un à l’autre que le même coup ne les avait pas terrassés ensemble ?…
Madame Bergeval venait de s’asseoir au milieu des femmes qui affectèrent de ne lui point adresser la parole. Bientôt même celles qui occupaient les sièges les plus rapprochés du sien se levèrent sous le prétexte de respirer l’air par l’une des fenêtres de la pièce voisine.
Elle resta seule jusqu’à ce qu’un jeune homme d’une vingtaine d’années, qui échangeait quelques mots avec M. Bergeval, vint prendre place à côté d’elle.
— Tiens, vous voilà, Estève, lui dit-elle d’un ton indifférent, comment se fait-il que vous ne soyez pas venu avec nous ?… Vous faisais-je peur ?
— Oh ! vous ne le pensez pas :
Et le jeune homme, étouffant un soupir, se prit à contempler madame Bergeval avec une expression si visible de muette admiration, qu’un moment elle fut embarrassée.
— Mon Dieu ! dit-elle en riant pour se donner une contenance, qu’avez-vous à me regarder ainsi ?
Et sans lui donner le temps de répondre, elle ajouta vivement :
— Vous ne me dites pas pourquoi vous êtes venu seul ?… Pourquoi l’on ne vous a point vu à dîner ?…
— Je suis resté avec quelques amis à qui j’étais allé faire mes adieux.
— C’est donc décidé : vous partez ?…
— Il le faut, je le dois…
— Depuis que vous êtes rétabli, vous vous ennuyez à Marseille. C’est tout simple, vous êtes impatient de revoir vos camarades de l’école militaire… et puis, à votre âge on aime le changement, le plaisir… ici, la vie est si paisible, si monotone !
— Oh ! ce n’est pas cela… mais ici je souffre… j’ai peur…
— En vérité… quelque amourette… contez-moi cela, Estève, reprit madame Bergeval en jouant avec son éventail de plumes.
— Non, non…
— Quoi, moi votre belle-mère, votre meilleure amie, je n’ai pas votre confiance ?…
Le jeune homme resta silencieux.
— Puisque vous ne voulez pas me faire part de vos secrets, fit d’un ton quelque peu railleur madame Bergeval, dites-moi autre chose… Vous êtes, ce soir, d’une tristesse contagieuse.
— Madame, en partant, j’aurais voulu laisser mon père heureux… et il ne l’est pas… depuis deux ans surtout, comme il est changé… pauvre père !
— Comme vous, je le déplore, mais est-ce ma faute à moi ?
— Oui.
— Est-ce lui qui vous a chargé de me parler de la sorte ?…
— Non, sans doute, mais mon titre de fils m’en donne peut-être le droit.
— Voyons ?… dit-elle avec impatience et dédain.
— Vous ne l’aimez pas…
— Je n’ai pas à vous répondre, monsieur.
— Et vous êtes parfois si étrange, si coquette…
— Achevez ; cette réticence est blessante….
— Hier, oh ! pardonnez-moi de vous dire cela, hier, chez le général, pendant que mon père était à la table de jeu, un homme causait avec vous dans une partie retirée du salon… je me suis approché… la dernière parole de cet homme est arrivée jusqu’à moi…
— Eh bien ? fit impérieusement madame Bergeval qui éprouva un peu d’agitation en recevant cette singulière confidence.
— Vous aviez le sourire sur les lèvres.
— Monsieur, sachez que du moment que M. le directeur de l’Académie de peinture m’a tenu un langage que j’ai toléré, c’est que ce langage n’avait rien de déplacé, et que, l’eût-il été, du moment où je l’acceptais, il n’appartenait à personne de m’en adresser des blâmes. Je ne sais qui vous a poussé à me dire ces choses et pourquoi il y a comme une menace dans vos paroles.
— Non, mais une douleur bien vraie, bien profonde.
— Menace ou douleur, elles sont offensantes, et je vous prie de m’en faire grâce. Vous n’avez rien à me demander et moi rien à vous répondre ; veuillez vous en souvenir… Je comprends que votre père vous prenne pour confident de ses prétendus chagrins, mais que vous vous permettiez de suspecter mes actions…
— Jamais, je vous jure, mon père…
— Vous ne m’apprendrez pas à juger le monde…
— Je vous atteste sur l’honneur…
— Je veux vous croire ; mais laissez-moi vous dire que vos inspirations ne sont ni heureuses ni à propos.
Et cela dit, pendant qu’elle se remettait, madame Bergeval saluait de la tête et de l’éventail des dames assises à l’extrémité opposée du salon.
Tout à coup, comme si rien ne se fût passé entre elle et lui, elle se pencha souriante du côté d’Estève et lui dit :
— Tenez, pour tout ce que vous venez de me dire de plus ou moins flatteur, je devrais vous en vouloir, mais vous êtes un enfant et je vous pardonne…
— Un enfant ! un enfant ! fit-il en hochant la tête.
Il la regarda et parut enivré, tant était grande la puissance qu’elle exerçait sur lui.
— D’ailleurs, reprit-elle avec une amabilité charmante, puis-je vous garder rancune au moment où vous allez nous quitter.
Cette dernière phrase fit perdre au jeune homme la lueur de joie qui, un instant, avait illuminé son visage. Il repartit :
— Vous avez raison de me rappeler que je dois partir, j’aurais pu l’oublier près de vous.
Madame Bergeval allait répliquer quand le consul de Perse vint couper court à cet entretien.
— Me permettez-vous, madame, de vous parler d’affaires ? demanda-t-il.
D’un geste gracieux, accompagné d’un sourire, elle lui désigna le siège vacant à sa droite.
Le consul s’assit.
Estève se leva brusquement et s’éloigna.
Madame Bergeval le vit se confondre dans un groupe ; elle prêta l’oreille à ce qu’avait à lui dire le consul.
Dans la galerie où devait avoir lieu le concert, les premiers accords de l’orchestre retentirent bientôt. Le consul offrit son bras à madame Bergeval et la conduisit à l’une des places réservées pour les dames.
Le concert commença ; il fut court, mais brillant.
Le directeur de l’Académie de peinture s’était approché de madame Bergeval, avait pris place à son côté et causait vivement avec elle. Estève et son père, perdus dans la foule, prêtaient peu d’attention à la musique. Ils ne quittaient pas du regard ces deux personnages, et semblaient tourmentés du même sentiment jaloux, avec cette différence que chez M. Bergeval, plus calme, il se manifestait par une pâleur et quelque frémissement des lèvres ; tandis que chez Estève, il se trahissait par une agitation qui l’empêchait de rester en place.
Et madame Bergeval, déployant les ressources d’une coquetterie charmante, minaudait, souriait, baissait les yeux.
M. Bergeval devenait plus pâle, et Estève semblait sur le point de céder à un emportement contenu avec peine.
Après le concert, les nègres du consul parcoururent les salons avec des plateaux chargés de toutes sortes de rafraîchissements.
Le père et le fils n’y touchèrent pas.
Bientôt le consul vint interrompre la conversation de madame Bergeval. On eut dit qu’il la priait ; elle céda, et lorsqu’il l’eut conduite au milieu du salon, le silence se rétablit.
Elle récita des stances dont elle était l’auteur. Elles racontaient la mort d’une mère. Il y avait dans ces regrets, mêlés d’une sainte croyance, un tel caractère de simplicité, de suprême espoir, que les cœurs furent émus. La voix du poète savait prendre des inflexions si douces, si sympathiques, que les yeux se mouillèrent involontairement. Ce ne devait être qu’une âme élevée qui avait senti ces nuances infinies de la douleur, ce ne pouvait être qu’un cœur fervent qui les interprétait avec autant d’amour et d’exquise délicatesse.
L’on n’applaudit pas lorsqu’elle eut achevé, mais il se produisit dans l’assemblée un frémissement mille fois plus expressif que les paroles.
Madame Bergeval, elle-même, fut émue ; son front rayonnait, ses yeux s’étaient animés et son sein se soulevait avec force. Elle consentit à lire une autre pièce.
On était au milieu de l’année 1846, peu de temps après l’incorporation de Cracovie aux trois puissances. Les cœurs étaient encore sous l’impression de cet acte odieux qui les avait remplis d’indignation. La seconde pièce avait été inspirée à la femme poète par cet événement ; elle la déclama avec une énergie qui excita l’enthousiasme.
On l’entoura et ce ne furent que félicitations.
M. Bergeval recueillit une part de ces éloges.
— Que vous êtes heureux, lui disait-on, de posséder une telle femme !
— Quel cœur !
— Quel esprit !
— C’est un trésor.
— Et joindre à cela tant de beauté, tant de grâce.
Il recevait ces manifestations avec un certain embarras : s’inclinait, remerciait, souriait. Et beaucoup d’exaltés, surpris qu’il ne poussât pas des cris d’enthousiasme, s’éloignaient en murmurant :
— Cet homme-là ne connaît pas son bonheur !
Comme il était peintre, d’autres allaient plus loin :
— Il est jaloux, disaient-ils, des succès de sa femme !
Pour se soustraire à toutes réflexions, il passa dans le salon de jeu et se mit à une table de lansquenet.
Estève, lui, était étourdi, attendri ; il pleurait d’admiration et de joie. Bien vite il avait passé d’un sentiment à un autre ; à cet âge, le cœur, ouvert à toutes les sensations, garde peu d’empreintes profondes.
Estève était un bon et loyal jeune homme, à l’âme ardente, aux instincts généreux et chez qui les facultés affectives s’étaient naturellement développées dès la plus tendre enfance. Habitué à céder aux mouvements de son cœur, les choses de la vie étaient encore pour lui des mystères.
Il chérissait son père.
Quant à sa belle-mère, il avait commencé à l’aimer comme un fils ; mais un sentiment plus fort, plus impérieux que l’amour filial, s’était à son insu glissé dans son âme et l’avait envahie. Un matin il s’était réveillé frappé d’un trait cruel, et avait, avec un douloureux étonnement, contemplé sa blessure profonde, sans comprendre comment il l’avait reçue.
Quand ce mystère lui fut révélé, il eut peur ; il devina que sa vie devait s’échapper par cette plaie, parce que le seul remède qu’il pût y appliquer était une trahison, un crime ! Il sentit qu’il n’aimait plus cette femme comme autrefois, qu’il n’avait plus pour elle cette tendresse respectueuse et pure, qu’il l’adorait, mais sans espoir.
Pauvre jeune homme ! à son entrée dans l’existence réelle, il lui fallait, faible encore, lutter contre des désirs dévorants, contre une de ces passions ardentes par lesquelles des natures énergiques sont souvent égarées. Dans ses heures de délire il se maudissait ; il eût donné volontiers sa jeunesse pour que ce sentiment terrible éteint en lui ne fût plus qu’un lointain souvenir.
Mais chaque jour il voyait cette femme plus belle, plus rayonnante, plus adorable que la veille ; il dormait sous le même toit, il respirait le même air ; et chaque jour aussi, malgré lui, il sentait son cœur défaillir et il l’aimait davantage, car les combats qu’il se livrait énervaient son courage loin de le fortifier. Qui sait cependant ? Peut-être un énergique effort eût-il vaincu l’irrésistible penchant contre lequel il se débattait, si un autre sentiment ne fût venu lui prêter une grande impulsion :
La jalousie !…
Du moment qu’Estève éprouva le premier symptôme de ce nouveau mal, tout fut dit pour lui : toute résistance devenait vaine, tout espoir de guérison était à jamais perdu.
Il ne lui restait plus que la sombre et effrayante alternative de succomber ou de périr.
Les quadrilles se formaient ; le bal allait s’ouvrir ; l’orchestre préludait par les premières mesures des contredanses de Musard. Déjà il régnait plus d’animation sur les figures, les conversations avaient plus d’entrain. C’est que les hommes et les femmes s’étaient rapprochés, et que seulement alors que les deux sexes s’unissent pour se livrer à un plaisir commun, la vie des réunions commence à se révéler.
La musique donna le signal. Les groupes partirent, se croisèrent, se confondirent pour bientôt, après mille passes gracieusement combinées, se retrouver à leurs places respectives.
Comme il arrive souvent, le salon de jeu se trouvait contigu au salon de danse. Une seule porte les séparait et elle était entièrement ouverte.
M. Bergeval tourmenté avait quitté le lansquenet ; assis à une table de bouillote il tournait le dos à la porte. Dans cette position il n’eût pu voir si une glace placée devant lui n’eût répété les mouvements. Plus attentif au tableau animé que lui renvoyait le miroir qu’à son jeu, il perdait… Une vive impatience se lisait sur son visage, elle était produite, non par la perte, mais par ce qu’il voyait dans le salon.
Sa femme dansait avec le directeur de l’académie de peinture, petit vieillard de cinquante ans, la mine éveillée et dont les membres, malgré un certain embonpoint, avaient conservé l’élasticité de la jeunesse.
L’exercice du bal avait amené sur les traits de madame Bergeval un léger incarnat qui lui prêtait un charme de plus. Elle exécuta successivement plusieurs quadrilles avec différents cavaliers qui se montraient empressés auprès d’elle.
Ce qui concourait à exciter M. Bergeval, c’étaient les observations de ses partenaires.
Il avait à sa gauche un homme gros, court, aux favoris blancs et qui ne sortait de son impassibilité que pour répéter chaque instant d’une voix flegmatique :
— Cavez-vous, monsieur ! monsieur, cavez-vous !
À sa droite un jeune fat, frisé, musqué, pomponné, un vrai poupart qui fredonnait de sa voix fausse les motifs de la contredanse, battait du pied la mesure à contre-temps et n’interrompait sa musique que pour dire :
— Tiens ! nous gagnons encore ; hé ! hé ! c’est drôle, c’est très drôle.
Par moments ce monsieur assujettissait un lorgnon dans son arcade orbitaire et promenait d’un air capable son œil ainsi armé sur les femmes dont le corsage rétrograde exposait à l’éclat des bougies ce que les maris prudents devraient prier leurs épouses de laisser deviner. Le lion marseillais accompagnait ses remarques de réflexions et d’exclamations passablement saugrenues.
M. Bergeval se leva tout à coup et jeta sur le tapis ce qu’il devait. Il descendit au jardin. Sous les voûtes épaisses de verdure circulait un air limpide. Comme un homme qui vient de s’arracher à une contrainte fatigante, il posa sa main sur sa poitrine et respira plus librement.
Les promeneurs étaient rares. C’est à peine s’il rencontra deux ou trois couples qui venaient parler d’amour dans ces détours solitaires que la lune éclairait à peine de quelques rayons blafards. Il croisait ces mystérieux promeneurs, puis, lorsqu’une assez grande distance le séparait d’eux, il se retournait tristement pour regarder une robe blanche qui s’évanouissait dans l’ombre, ou pour recueillir le murmure de deux bouches amies. Alors son cœur se gonflait, il disait avec un soupir :
— Qu’ils sont heureux !…
Et il poursuivait sa marche silencieuse.
Dans la partie la plus retirée du jardin s’élevait une tonnelle. Au fond était un banc de verdure ; il alla s’y asseoir. L’obscurité était complète en cet endroit.
La tonnelle était adossée à un massif de feuillage au delà duquel se prolongeait une allée peu ombreuse.
Il y avait peut-être dix minutes que M. Bergeval était livré à ses pensées lorsqu’il entendit derrière lui un bruit de pas et le frôlement d’une robe de soie sur le sable de l’allée. Il ne se fût point dérangé, si une voix qui arriva jusqu’à lui ne l’eût fait tressaillir.
On parlait presque bas, mais le calme profond de la nuit que ne troublait pas le bruit lointain du bal, permettait de recueillir quelques paroles.
Il se leva. Écartant le feuillage avec précaution, il plongea son regard dans l’allée et n’aperçut qu’au loin deux ombres qui s’éloignaient.
Immobile, il attendit encore, prêtant l’oreille ; car il vit que le couple, ayant atteint l’extrémité de l’allée, revenait lentement sur ses pas.
Cette fois les deux personnages recevaient en plein visage la pâle lumière de la lune.
Il les reconnut.
Le premier était madame Bergeval. Elle s’appuyait nonchalamment au bras du directeur de l’académie de peinture, et lui disait d’un ton plus impérieux que suppliant :
— Je désire cela, accordez ou refusez…
— Dieu ! que vous êtes exigeante, madame, lorsqu’il s’agit de cet homme, répliqua d’un ton dépité le petit vieillard, vous l’aimez…
Elle haussa les épaules. Ce mouvement lui était familier.
Il y eut une pause ; les deux promeneurs passèrent.
Ils revinrent bientôt. M. Bergeval recueillit ces mots comme un aiguillon à sa souffrance :
— Je ferai ce qui dépendra de moi, disait le petit homme.
— Vous ferez ce que je veux, ou rien.
— Hé ! que diable ! me croyez-vous le maître ! mes collègues…
— Voudront ce qui vous sera agréable.
— Au moins saurai-je dans quel but vous briguez cet honneur pour un homme qui…
— Ne porté-je pas son nom ?… Eh bien, je suis ambitieuse pour lui, parce que les fruits de cette ambition rejailliront sur moi… Vous ne comprenez donc pas ce que c’est que l’ambition aux larges ailes qui vous conduit partout… c’est la satisfaction de tous les instincts intelligents, la source de tous les biens, la clé de la fortune… je suis ambitieuse parce que je veux m’élever, être riche, puissante, enviée… parce que ce n’est pas assez pour moi d’effacer mes rivales, il faut que je les écrase !
Sans doute le naïf académicien s’était fait une autre idée de cette femme si poétique, car son étonnement se manifesta par son silence.
— Eh bien ? reprit-elle.
— Que votre mari se porte candidat, il sera élu… vous faites de moi ce qui vous plaît.
Comme ils s’éloignaient, le petit vieillard ajouta :
— Consentira-t-il à se présenter ?
— Si je l’exige…
— Vous avez tant de pouvoir, vous êtes si adorable ! exclama l’académicien d’un ton admiratif.
M. Bergeval vit à une certaine distance l’une des deux formes s’incliner vers l’autre et le bruit d’un baiser résonna dans son cœur. Aussitôt la voix de sa femme arriva jusqu’à lui :
— Imprudent ! disait-elle.
Ce que M. Bergeval venait d’entendre et de voir ne le surprit pas. Mais il est de ces coups qui, pour frapper sur une plaie déjà saignante, n’en sont que plus cruels.
Il essuya la sueur qui coulait de ses tempes, et se prit à dire :
— L’infâme ! ma faiblesse passée lui donne le droit de croire que je serai assez lâche pour ratifier ce marché. Elle se trompe : je ne veux rien d’elle, rien de cet homme à ce prix… je vais le leur dire, les confondre.
Il prit un détour qui devait le conduire vers les promeneurs. Une indignation plus grande que sa douleur se trahissait en lui.
Au moment de pénétrer dans l’allée, il entendit marcher précipitamment à ses côtés.
En se retournant il se trouva face à face avec Estève.
Le jeune homme était dans un état d’excitation extrême.
Par un brusque mouvement M. Bergeval passa son bras sous le sien et l’entraîna.
— Tu me cherchais, tu as quelque chose à me dire ? lui demanda-t-il d’un accent qu’il tâcha de rendre assuré.
— Moi ? non, mon père, je vous assure, répondit Estève qui suivait une idée fixe et qui voulut dégager son bras.
— Tu as donc quitté le bal ?
— Oui… oui, sans doute, mais j’allais y retourner…
— Rentrons-y ensemble.
Cette proposition contraria visiblement Estève.
— Qu’as-tu donc, tu parais tourmenté ? reprit M. Bergeval.
— Vous trouvez… c’est une erreur… Ah ! à propos, savez-vous où est ma mère ?…
M. Bergeval baissa la voix pour dire d’un ton confidentiel à son fils :
— Elle se promène par là, avec M. Marcel ; je les ai laissés ensemble pour qu’elle appuie mon élection à l’académie de peinture… Tu sais qu’il y a une place vacante ?…
Estève resta pétrifié ; M. Bergeval ajouta :
— M. Marcel est un admirateur passionné des talents de ta mère, de son esprit, il ne pourra lui refuser un service…
— Quoi ! vous si simple, si modeste, vous ambitionnez cet honneur ? Vingt fois je vous ai entendu dire qu’il n’avait aucun prix à vos yeux…
— C’est possible… j’ai changé d’avis… et puis peut-être suis-je un peu comme le renard de la Fontaine… j’ai médit de ce que je ne pouvais obtenir… à présent que je commence à y atteindre.
— Ah ! bien ! bien ! c’est autre chose… je ne savais pas… murmura le jeune homme incrédule.
Il se fit un silence que M. Bergeval rompit.
— Ta mère a tout ce qu’il faut pour conquérir l’appui de M. Marcel… elle est belle…
— Oh ! bien belle ! soupira le jeune homme.
— Aimable, spirituelle, coquette… un peu trop peut-être : mais quelle femme ne l’est pas ? La coquetterie est une des grâces de la femme, surtout à l’âge de ta mère. Ce qui serait impardonnable chez une jeune fille est sans portée de sa part… d’ailleurs on la connaît comme cela et on l’aime ; quoi qu’ait dit, quoi qu’ait fait une jalousie calomnieuse, madame Bergeval est une noble femme que les honnêtes gens respectent et à qui je n’ai rien à demander, que j’aime et dont je connais la sincère affection… ensuite…
Il n’acheva pas, sa voix qui s’était sensiblement altérée lui manqua.
Estève était ébahi, hébété. Jamais son père ne lui avait parlé de la sorte. Homme de principes rigides, il avait souvent affecté une foi que peut-être il n’avait pas, dans la vertu de sa femme, mais en aucune circonstance il n’avait employé ce verbiage, à travers lequel perçait l’amertume d’un cœur ulcéré, pour excuser la légèreté de sa conduite.
Le père et le fils continuèrent de cheminer silencieusement.
Deux personnes passèrent non loin d’eux et rentrèrent dans l’hôtel.
M. Bergeval et Estève échangèrent un coup d’œil rapide.
Ils venaient de reconnaître le président et la femme poète.
Estève sentit le cœur de son père battre sous son bras.
— Il me trompe ! se dit-il.
Il était quatre heures du matin. Le bal approchait de son terme ; les bougies palissaient devant le jour, la musique était moins entraînante, les quadrilles moins pressés.
Madame Bergeval venait de mettre sa pelisse, elle se tenait dans le premier salon au milieu d’un groupe de cavaliers qui lui adressaient leurs adieux.
On eût dit une reine.
Elle l’était en effet par la beauté, la grâce, le talent.
— Je vous attendais, monsieur, dit-elle à son mari lorsqu’il entra avec Estève.
— Nous voici à vos ordres, répondit-il.
Elle descendit, s’élança dans une voiture et fit un dernier salut à ses adorateurs qui disaient en regardant M. Bergeval d’un œil d’envie :
— Heureux mortel !…
La voiture partit.
Elle s’arrêta devant une maison haute de deux étages sur un rez-de-chaussée.
M. Bergeval qui sortit le premier de la voiture, tendit la main à sa femme.
Elle descendit sans se servir de cet aide.
Elle agissait avec cet homme comme avec un valet. On eût dit qu’elle ne s’apercevait même pas de sa présence.
C’était triste à voir.
Lorsqu’on fut arrivé au salon, elle lui dit négligemment :
— Félicitez-vous, monsieur ; outre les tableaux qu’il nous a commandés, le consul vient d’obtenir pour vous de son souverain une décoration dont voici le brevet.
Estève devint attentif.
Le peintre prit le papier et l’ouvrit en disant :
— Suzanne, vous êtes un ange… toujours vous songez à presser mes amis pour moi… merci !…
Et poussant le courage jusqu’à l’héroïsme, il poursuivit :
— L’autre faveur m’est non moins précieuse…
Un moment interdite, madame Bergeval se hâta de dire :
— Vous pouvez vous porter candidat au fauteuil vacant pour l’Académie : M. Marcel m’a promis d’employer son crédit à faire réussir votre élection.
Quelque cuisante que fût la torture de M. Bergeval, il eut assez d’énergie pour la surmonter.
— Je suis heureux d’apprendre par vous une nouvelle si flatteuse.
C’était une comédie épuisante. Mais il était à bout de forces ; il fut obligé de s’asseoir.
— Qu’avez-vous, mon père ? s’écria Estève en s’élançant vers lui.
— Eh bien ! eh bien ! enfant… ce n’est rien ; murmura-t-il en passant sa main sur son front ; la fatigue d’une nuit sans sommeil, la joie des honneurs qui m’attendent… voilà tout…
— Vous sentez-vous mal ? demanda madame Bergeval qui s’approcha lentement.
D’un geste calme il l’arrêta à mi-chemin et repartit avec une expression singulière :
— Ne vous alarmez pas ; ce n’est rien, vous dis-je. Mais vous-même, Suzanne, si j’en juge par moi, vous devez être fatiguée ; un peu de repos vous est nécessaire… je ne veux pas vous retenir… merci encore de ce que vous faites pour moi… merci.
Il fit signe à Estève de sonner.
La chambrière de madame Bergeval parut.
— Vous laisserai-je en cet état ? objecta Suzanne à son mari.
Tout cela était dit d’un air d’intérêt où perçait la plus glaciale indifférence.
— Oh ! c’est trop vous inquiéter… rassurez-vous.
Elle s’éloigna suivie de la domestique.
Estève et son père l’entendirent gagner sa chambre à l’étage supérieur.
— Mon père, dit alors le jeune homme en cherchant à lire dans les yeux de M. Bergeval, mon père, est-ce vrai que vous êtes heureux ?…
— Tu en douterais ? et pourquoi ne le serais-je pas ?
Et comme Estève tenait toujours son regard attaché sur M. Bergeval, celui-ci se troubla comme un coupable et balbutia en laissant retomber sa tête sur sa poitrine :
— Oui, oui, je suis heureux… bien heureux !…
— Pardonnez-moi de vous interroger, mon père, mais au moment de regagner l’école, je ne voudrais pas savoir que vous souffrez ici…
— Ah ! c’est juste, tu vas me quitter bientôt, fit le peintre avec abattement, je l’avais oublié.
— N’avez-vous rien à me dire ?
— Non, mon ami, rien… rien ! laisse-moi ce matin, je suis brisé… au revoir… adieu !…
M. Bergeval serra avec une muette effusion la main d’Estève.
Il rentra chez lui. Là, seul, enfermé, il arracha de sa poche le brevet que lui avait remis sa femme et le déchira avec colère. Puis, promenant un coup d’œil morne autour de lui :
— Je suis seul, seul, mon Dieu ! oh ! qu’Estève parte… qu’il me laisse… qu’il ignore tout…
Appuyé contre un meuble, défait, les yeux fixés dans le vide comme un homme dont la raison s’est perdue sous un flot d’adversités, il resta immobile.
Les premiers rayons du soleil, filtrant à travers les persiennes closes, le retrouvèrent à la même place, conservant la même altitude.
Le lecteur a compris les traits saillants du caractère de madame Bergeval ; il a vu quelle certitude d’elle-même il y avait dans cet esprit ambitieux et calculateur ; il a deviné sans peine que ces dehors séduisants, frivoles, cachaient une âme aride où nul sentiment généreux n’avait sa source.
La puissance d’une femme ainsi organisée devait être incalculable. Elle seule, peut-être, avait la conscience de sa force, et cette conscience lui donnait une audace insensée.
Des créatures telles que madame Bergeval sont de véritables fléaux pour ceux qui entrent en contact avec elle sans revêtir une armure d’hypocrisie et de froideur.
Avant son mariage le peintre était doué d’une haute intelligence. L’amour, au lieu de développer en lui des facultés nouvelles, ne fit qu’étouffer celles qu’il possédait. C’est que cet amour dévoué, immense, qui brûlait en lui, ne trouva point d’aliment dans un cœur sec : là, où M. Bergeval cherchait une âme aimante comme la sienne, il ne rencontra qu’un esprit orgueilleux et fier.
Il n’avait pas fallu moins de dix ans d’angoisses pour faire décroître cette riche nature. Et l’on eût dit qu’à mesure que son énergie s’éteignait sous le découragement, sa passion surgissait plus vivace. M. Bergeval aimait d’autant plus sa femme qu’elle ne lui montrait qu’indifférence et dédains : tant il est vrai que l’amour qui meurt d’excès s’accroît par les privations qui lui sont comme un aiguillon cruel. Chaque fois qu’il voulait se roidir, secouer cette chaîne que sa faiblesse imposait à son âme et dont il rougissait, quelques paroles de la syrène suffisaient à fondre ses ressentiments. Ainsi paralysé, sa volonté le laissait sans forces devant son malheur, dont il connaissait toute l’étendue.
La maladie morale dont était atteint M. Bergeval, détermina une maladie physique implacable, une de ces lésions profondes qui attaquent les sources de la vie. Le médecin constata la présence d’une hypertrophie du cœur. Depuis le moment où ce fatal oracle avait été porté, le peintre à qui le calme eût été nécessaire, sinon pour guérir, du moins pour vivre, éprouva des secousses successives qui ne firent que l’affaiblir de plus en plus et le jetèrent dans un état de dépérissement pénible à voir.
C’est ainsi que nous l’avons rencontré au bal du consulat.
Or, le lendemain, lorsque Estève entra chez son père pour s’informer comment il avait reposé, il le trouva appuyé contre son lit qui n’avait pas été défait. Il s’empara de sa main ; elle était brûlante. Le peintre était pris d’une forte fièvre.
— Quoi ! vous ne vous êtes pas couché ? dit Estève tout alarmé.
— Il est vrai ; je me suis oublié à réfléchir et je me suis assoupi là.
Estève n’en crut rien. Seulement, comme l’état où il le trouvait l’inquiéta, il le conjura de se mettre au lit et envoya chercher un médecin qui ordonna quelques calmants et un repos absolu.
— Je vais aller voir si ma mère est levée et si elle peut descendre.
— C’est inutile, dit vivement le peintre, pourquoi l’alarmer ?
Le jeune homme n’en alla pas moins demander à la camériste de madame Bergeval si sa maîtresse était éveillée. Elle était sortie depuis deux heures pour rendre des visites et surveiller la répétition d’une de ses pièces. Estève un peu décontenancé revint auprès de son père.
— Eh bien ! fit celui-ci en se soulevant, as-tu vu ta mère ?
— Vous m’avez dit de ne pas l’éveiller.
— D’où viens-tu donc ?
— De ma chambre, chercher un livre.
— Que tu as oublié de prendre, à ce qu’il paraît.
— Non, mais que je n’ai pas trouvé.
Un amer sourire crispa les lèvres pâles du peintre. Il retomba sur son oreiller sans proférer une parole de plus. Estève prit place à son chevet dans un fauteuil.
Cette nouvelle preuve d’indifférence de madame Bergeval pour son mari qu’elle avait laissé très souffrant révolta le jeune homme. Les reproches dont il l’accabla intérieurement furent d’autant plus vifs qu’il s’y mêlait à son insu une jalouse colère.
Comme, soucieux, il tenait sa tête baissée, il remarqua quelques bouts de papiers épars sur le parquet. Il en ramassa un. C’était un fragment du brevet que son père avait mis en pièces. Ceci acheva de l’éclairer.
— Mon ami, lui dit tout à coup M. Bergeval, tu m’as parlé hier de ton prochain départ. Il est temps en effet que tu retournes à l’école. Tes études souffriraient d’une plus longue interruption. Ceci est grave : il s’agit de ton avenir.
— Nous nous préoccuperons de cela lorsque vous irez mieux, répondit Estève.
Puis mentalement il ajouta :
— Oh ! non, je ne le quitterai pas… qui donc veillerait sur lui !
Cette réflexion était une accusation contre sa belle-mère.
Il y avait en ce moment chez le jeune homme une conviction que l’indignation lui donnait. Il croyait ne plus aimer cette femme, n’avoir plus à la redouter parce qu’il la connaissait mieux. L’imprudent jouait avec ce qu’il croyait sa force et qui n’était qu’une faiblesse. Il ignorait que dans cette détermination il y avait peut-être autant d’amour pour la femme qu’il accusait, que de dévouement pour son père.
À l’âge d’Estève, il est peu d’hommes qui voient clair en eux.
Cependant au bout de plusieurs jours de repos et de soins, le peintre éprouva un mieux sensible. Il put se lever.
Madame Bergeval, elle, s’intéressait peu à la santé de son mari. L’époque du concours de l’Académie approchait et son temps se dépensait à visiter ses juges. Avide d’honneurs, cette muse privilégiée faisait une cour assidue à ceux qui les dispensaient. Au reste, elle était au mieux avec beaucoup de membres. Les années précédentes elle avait obtenu plusieurs prix pour toutes sortes d’ouvrages de morale et de philosophie. L’activité qu’elle déployait ne restait donc pas sans résultats. Il est vrai de dire que certaines mauvaises langues de femmes, des rivales, des bourgeoises, que sais-je, tenaient des propos compromettants pour sa réputation.
Mais beaucoup ne croyaient pas à ces insinuations perfides. Madame Bergeval était si belle !… Quelquefois on s’étonnait encore de la voir dans la voiture d’un fonctionnaire puissant ; mais à cela on répondait que les femmes qui écrivent peuvent user de certains privilèges sans porter atteinte à leur considération. Les intelligences exceptionnelles ne peuvent être astreintes aux exigences de la vie ordinaire ! Au surplus, M. Bergeval, homme rigide et jaloux, le souffrait, qui donc avait le droit de s’en plaindre ? Il faut faire observer en passant que ces femmes fortes qui s’érigent en tyrans domestiques ont soin de faire passer leurs maris pour des imbéciles qui joignent à une jalousie odieuse une brutalité sans exemple. Et ces dames qui, pour la plupart, ont semé la honte et la désolation dans leur intérieur, déblatèrent à l’envi contre le mariage dont elles se prétendent les victimes. Heureusement pour leurs maris, qu’elles ont le courage de s’affranchir d’une chaîne immorale, détestable, à laquelle leurs instincts naturels ont tant de peine à se plier. Ceci au reste est en harmonie avec leurs principes. Des créatures qui écrivent pour le bien de l’humanité ne sont pas conformées pour faire le bonheur d’un seul mortel ; ce serait les astreindre, ce serait enfin abaisser leur généreuse et expansive nature aux mesquines proportions d’un individualisme abrutissant.
On ne voyait guère madame Bergeval chez elle qu’aux heures des repas. Durant ces courtes entrevues on échangeait peu de paroles. Elle demandait d’un ton distrait de ses nouvelles à son mari ; ensuite elle disait quelques mots de sa comédie et des espérances qu’elle avait d’obtenir le prix de poésie.
Enfin le grand jour arriva où l’on devait distribuer les palmes académiques. Retenu forcément chez lui par son état maladif, le peintre chargea Estève d’accompagner sa femme.
Il les vit s’éloigner avec un douloureux serrement de cœur. N’était-il pas assuré d’avance du triomphe de sa femme ? le matin même il l’avait lu dans ses yeux… Il comprenait de quel prix elle l’avait acheté !
Le temps était superbe. Il passa six heures dans une inexprimable angoisse ; car, comme lorsqu’un malheur certain approche, on aime à se bercer d’un espoir quelque faible qu’il puisse être, il cherchait à se rattacher à un doute.
— Si je m’étais trompé ! pensait-il ; si ce prix elle ne l’obtenait pas…
Madame Bergeval revint seule ; elle entra chez son mari.
Quels que fussent sa faiblesse et le trouble de ses idées, il essayait d’achever un tableau que depuis longtemps on attendait.
— Eh bien, madame ? demanda le peintre lorsqu’il aperçut sa femme.
— Eh bien ! monsieur, vous me voyez indignée, furieuse…
En voyant l’exaltation de madame Bergeval, l’artiste supposa que ce qu’il avait espéré s’était réalisé. Il posa ses pinceaux et son front s’éclaircit.
— Vous n’avez pas ce prix ? dit-il avec une surprise où perçait la joie.
Elle comprit sa pensée, et son orgueil s’en offensa ; aussi repartit-elle sèchement :
— Si, monsieur.
M. Bergeval baissa la tête, et, comme si rien ne pouvait plus l’intéresser après cette nouvelle, il reprit sa palette et recommença à peindre.
— En vérité ! dit sa femme qui froissait son mouchoir avec une colère qui ne demandait qu’à éclater, on croirait que chaque succès que j’obtiens vous afflige, vous porte ombrage.
— Oh ! non…
— Il me semble que si l’on m’a rendu justice, j’ai tout fait pour qu’on ne vous oubliât pas.
— Vous avez fait pour moi plus que je ne vous ai prié de faire. Les faveurs que vous avez eu le pouvoir d’obtenir, je n’en avais pas besoin.
— J’ignore si c’est par fierté que vous faites fi de cette croix…
Cette parole impudente toucha une plaie saignante du peintre, car il répondit vivement, comme s’il se fût défendu contre une accusation :
— Oh ! je ne la porterai pas !
— Et pourquoi ? Est-ce donc, s’il vous plaît, parce que vous la devez à ma prière ?
— Peut-être !… répondit sourdement le peintre.
— Peut-être ?… dois-je prendre ceci pour une grossièreté ?
Il garda le silence ; mais elle, avec cette persistance obstinée des gens qui savent une chose, mais qui veulent obliger leur adversaire à la dire pour trouver une occasion d’éclater :
— Enfin, monsieur, vous expliquerez-vous ?… vos réticences sont intolérables…
M. Bergeval était tremblant. Il recueillit son courage et repartit d’un ton qu’il s’efforçait de rendre calme :
— Suzanne, ne provoquez pas une nouvelle querelle. Je suis souffrant, bien souffrant, faites-moi grâce, je vous en supplie… je ne suis pas en état de supporter un éclat.
Elle haussa les épaules et dit avec aigreur :
— Eh ! mon Dieu ? vous vous retranchez toujours derrière votre faiblesse… Il y a longtemps que vous êtes faible comme cela… Votre imagination se frappe à l’idée de maladies que vous n’avez pas.
— Le croyez-vous, Suzanne ? fit tristement le peintre.
— Bah ! vous n’avez guère d’énergie pour un homme… Au lieu de secouer ces idées, que la moindre fièvre vous donne, vous vous y livrez… faiblesse d’esprit, vous dis-je !
— C’est vrai, vous le dites bien, et vous devez le savoir… je suis trop faible, je manque d’énergie : voilà pourquoi je suis malheureux, murmura avec abattement M. Bergeval.
Puis, de son poing fermé il pressa son front comme pour y refouler les pensées tumultueuses qui s’y agitaient et voulaient s’en échapper.
Au bout de quelques instants madame Bergeval se dirigea du côté de la porte.
— Où donc est Estève, que je ne l’ai pas vu ?… demanda soudainement le peintre.
Cette question rappela à madame Bergeval le but de sa visite : elle revint sur ses pas.
— Eh ! monsieur, interrogez-moi, je vous y engage. Si vous étiez un autre homme, ce qui est arrivé n’eût pas eu lieu.
— Qu’est-il donc arrivé dont je sois la cause ?
— On m’a insultée ; un folliculaire a osé écrire dans sa feuille que le prix me serait donné parce que… parce que…
— Parce que ? demanda M. Bergeval, dont les yeux se grandirent.
Mais elle n’osa pousser l’audace plus loin et se contenta de répondre :
— Il est de ces imputations odieuses qui cherchent à flétrir, et qu’une femme, quelque au-dessus qu’elle soit de telles calomnies, se respecte trop pour répéter… Tenez, monsieur, lisez vous-même ; c’est votre femme qu’on accuse, qu’on outrage… lisez…
Elle tendit au peintre un journal qu’il saisit et parcourut.
Cette feuille contenait un article d’une virulence extrême contre la femme poète. Il finissait en disant que l’estime toute particulière dont l’honorait le directeur de l’Académie était pour elle une certitude de succès, etc… Il fallait toute l’impudence de madame Bergeval pour montrer une pareille accusation à son mari.
Lorsque ce dernier eut achevé de lire, il replia le journal en disant d’une voix sombre à madame Bergeval :
— Vous ne m’avez pas dit où est Estève ?
Elle le regarda, pétrifiée de ce sang-froid.
— Estève a-t-il lu cet article ? reprit le peintre.
— Certes, monsieur. Mais quoi ! vous restez impassible devant une telle infamie ?… rien ne s’émeut en vous, rien ?… moi qui ne suis qu’une femme, je voudrais qu’un couteau, si ce n’est une épée…
— Il l’a lu, et il n’est pas ici ! répéta M. Bergeval en proie à une singulière angoisse. Savez-vous ce que fait mon fils en ce moment ? il est allé provoquer l’homme qui a écrit ces lignes… il résultera de ceci un esclandre…
— Je ne le crains pas… ma vie est irréprochable…
— Une provocation, un duel…
— Eh bien ? demanda d’un air impertinent madame Bergeval. Ce jeune homme est, il faut en convenir, d’un naturel moins pacifique que vous, monsieur ; il n’a pu voir insulter une femme sans prendre sa défense… c’est un noble cœur… car enfin, car enfin je ne suis ni son épouse ni sa mère… je ne lui suis rien…
— C’est pour cela qu’il ne faut pas qu’il se batte.
— Il a compris que je n’avais que lui pour punir l’insolent. Qui donc oserait le blâmer d’avoir obéi à un mouvement si généreux ?
— Je le verrai, il ne se battra pas… se dit M. Bergeval qui suivait une idée fixe.
— Et je vous dis, moi, que j’accepte le secours de son bras… Il faut bien qu’il soit mon défenseur puisque je n’en ai pas d’autre.
Puis elle ajouta railleusement, en regardant avec hauteur son mari :
— Quels principes voulez-vous lui donner ? qu’espérez-vous en faire ?
— Un homme, qui sache commander aux mouvements de son âme.
— Et qui accepte un outrage sans y répondre ?
— Non, mais qui laisse à chacun le soin de venger ses injures et qui n’expose pas une vie précieuse pour la première coquette à qui il plaira de croire qu’un sang pur versé en la défendant est un holocauste qui lavera ses fautes.
— Monsieur, à tant de lâcheté ne joignez pas l’insolence. Laissez mépriser votre femme, mais ne la flétrissez point vous-même… je ne le souffrirais pas.
Comme une panthère blessée par le chasseur, madame Bergeval se redressa de toute la hauteur de sa taille ; ses prunelles étincelantes lancèrent un éclair. Ce n’était plus un froid dédain qui était répandu sur ses traits, mais tous les signes d’une colère violente. Elle ne semblait plus dire à son ennemi : j’ai pitié de toi, mais : « tremble ! »
Le peintre ne se laissa pas intimider ; l’idée de la lutte ne l’épouvanta plus. Il s’agissait non de lui, mais de son fils, et d’ailleurs l’épithète de lâche l’avait frappé au cœur. Emporté par un mouvement de désespoir furieux, il s’avança vers sa femme à qui il dit :
— Prenez garde, madame, toute patience se lasse, et il est des colères qui, trop longtemps comprimées, peuvent conduire à la folie.
— Que m’importe ?
— Que vous importe ?… vous pouvez dire cela du mépris du monde, du mien, de celui de votre conscience, même, qui vous jugera, un jour, trop tard… mais du délire que je sens bouillonner en moi… c’est impossible. Savez-vous bien que si la raison qui m’a fait dévorer tant d’affronts et de douleurs, cette raison que vous taxez de faiblesse, savez-vous que si elle m’abandonne, que si vous me rendez fou…
— Que ferez-vous donc ?
— Je puis vous tuer !
— Vous ? dit-elle d’un ton de sarcasme insolent, en se reculant prudemment d’un pas.
— Moi, moi qui vous parle et qui vous ordonne de sortir !…
— Ceci prouverait que vous êtes plus vaillant devant une femme que devant un homme.
— Non, mais que je suis capable de punir une infâme avant de châtier celui qui a eu le courage de la dévoiler…
— Vous m’accusez…
— Oui, je vous accuse, j’en ai le droit… que répondrez-vous ?
— Rien.
Voyant à quel degré de violence était montée l’exaspération de son mari, madame Bergeval résolut d’abandonner la place, certaine que, cet accès passé, elle retrouverait tous ses avantages et qu’elle pourrait en user sur un homme à demi mort d’épuisement.
Toutefois elle ne voulut pas se retirer en vaincue ; aussi dit-elle en gagnant la porte :
— Je crois comprendre à présent, monsieur, où, quand vous êtes seul, vous laissez votre raison et puisez ce beau courage… Lorsque vous serez de sang-froid, nous reprendrons cet entretien que je me blâme d’avoir trop prolongé. J’aurais dû m’apercevoir de l’état où vous êtes.
Elle affecta un geste de dégoût et posa la main sur la serrure.
M. Bergeval avait suivi avec surprise le regard de sa femme qui s’était arrêté sur un verre vide où la domestique lui avait apporté une infusion de digitale. Il comprit tout de suite l’odieux de cette inculpation qu’aucune conviction n’avait dictée. Mais elle était tellement absurde dans sa position et de la part de quelqu’un qui le connaissait depuis plus de dix ans, qu’elle produisit sur lui un effet opposé à celui qu’en attendait madame Bergeval.
Le peintre se contenta de sourire ; et tout à coup recouvrant le calme, il s’apprêtait à faire à sa femme une réponse plus modérée, lorsque la porte fut ouverte avec force.
Estève entra.
Au visage bouleversé de son père et de sa belle-mère, le jeune homme comprit que quelque chose d’extraordinaire venait de se passer.
M. Bergeval prit la main qu’il lui tendait et la serra avec joie. En même temps il dit à sa femme, sans aigreur, sans affectation :
— Je ne vous retiens plus, Suzanne ; ce que j’ai à dire à Estève n’aurait aucun intérêt pour vous.
Elle s’éloigna.
Estève la regarda partir avec étonnement. Il devinait que cette sérénité apparente recouvrait le cratère du volcan. Ce qui le confirma dans cette idée, c’est que ce qu’avait prévu madame Bergeval se réalisa. Le peintre se laissa tomber dans un fauteuil comme un homme épuisé. Une mortelle pâleur se répandit sur son visage un moment illuminé, tandis que ses yeux, encadrés d’un cercle bistre, brillaient d’un éclat plus vif que de coutume.
Son cœur battait avec une violence à rompre sa poitrine et d’une manière saccadée, irrégulière. À cette crise succédait un abattement général. Estève n’osa point interroger son père. Ce fut M. Bergeval qui, au bout de quelques minutes, lui dit d’une voix affaiblie :
— Qu’est-ce que je viens d’apprendre ?… on a osé insulter ta mère ?
— Oui, un misérable… commença le jeune homme, de qui ces paroles réveillèrent l’indignation.
— Et tu veux te battre ?
— Vous le savez…
— Je le devine.
— Vous m’approuvez, n’est-ce pas ?
— Non !
— Non ? répéta Estève stupéfait.
— Me crois-tu donc, toi aussi, incapable de tirer vengeance d’un affront fait à ma femme, que tu t’es permis de prendre une place qui m’appartient ?…
Ce : toi aussi, fit comprendre vaguement au jeune homme la nature de la scène à laquelle sa présence avait mis un terme.
— Écoute, mon enfant, reprit le peintre, rien de tout ceci ne te regarde…
— Comment !… objecta Estève avec impétuosité.
— Dieu, merci ! j’ai encore assez de force pour tenir un pistolet et manier une épée, je le prouverai bien…
— Vous ? fit le jeune homme qui considéra avec tristesse l’état de prostration physique de son père.
Il ne doutait pas de son courage, lui, il doutait de ses forces.
— Quand je devrais m’y faire porter, se dit à lui-même M. Bergeval.
Puis il ajouta tout haut :
— Si j’étais mort, la défense de ta mère t’appartiendrait, tu serais son appui, son soutien… mais, moi vivant, tu ne peux intervenir sans me faire jouer un rôle ridicule, sans la compromettre même… encore si tu étais vraiment son fils… Cela me regarde, moi seul, tu le vois…
— Il n’est plus temps ; j’ai souffleté cet homme, c’est une affaire qui m’est devenue personnelle… votre duel n’empêcherait pas le mien.
M. Bergeval réfléchit un moment avant de repartir :
— C’est juste… Tu me convaincs presque… plus tard, quand je serai un peu remis, je retrouverai cet homme… tu as raison…
— N’est-ce pas ?
— À quelle heure te bats-tu ?
— À cinq heures, demain matin, au bord de la mer…
— Ah ! fit M. Bergeval songeur.
— Pourquoi me demandez-vous cela ? fit Estève qui eut peur d’en avoir trop dit.
— Pour t’envoyer mon médecin.
Cette réponse faite du ton le plus naturel le rassura.
Sur les neuf heures du soir Estève laissa son père dans un état d’affaissement extrême.
Il se rendit dans sa chambre. Jusqu’à dix heures il écrivit des lettres à ses amis pour leur faire ses adieux. Ces lettres ne devaient être envoyées que dans le cas où il succomberait dans sa rencontre du lendemain.
Il commença aussi une longue missive pour sa belle-mère. Quoique dictée par un sentiment aussi noble que généreux, elle était empreinte, quant à la forme, de l’exagération naturelle à cet âge.
Elle débutait ainsi :
« Madame, on vous a insultée d’une manière indigne ; mon cœur en a gémi en même temps qu’il s’est révolté. Vous serez vengée lorsque vous recevrez cette missive ou je ne serai plus. Je n’ai pas voulu sortir de ce monde sans vous adresser avec mes adieux une suprême prière. L’exaucerez-vous ?… Je viens de quitter mon père, et mon âme saignait de sa déplorable position… C’est un homme qui souffre, qui se meurt parce qu’un chagrin inexorable le mine. Pauvre père ! quelque soin qu’il ait pris de me dissimuler la cause de son mal, je l’ai pénétrée. Il a pour vous une adoration sans bornes et vous ne l’aimez pas !… Au nom de tout ce qu’il y a de plus saint, madame et mère, rendez-lui le repos qu’il a perdu ; à défaut d’amour, ayez au moins de la pitié… Je vous le demande pour prix du sang qu’il me sera doux de verser pour vous… Soyez bonne au pauvre malade, il sera si heureux ! d’ailleurs si vous l’abandonnez et que je meure, que lui restera-t-il ?… Est-ce qu’il est possible de supporter l’existence lorsqu’elle est vide d’affections, etc… »
Il écrivit ainsi quatre pages, que des larmes, arrachées par le souvenir des souffrances de son père, inondèrent. L’âme de ce jeune homme débordait de sentiments élevés. Toutefois un secret instinct lui fit craindre que cette lettre n’eût pas l’effet qu’il voulait en obtenir. Il la froissa en disant :
— Non, non, je lui parlerai et il faudra qu’elle me promette d’être pour lui ce qu’elle n’a jamais su être, je m’en suis trop aperçu : une amie dévouée, sinon une épouse tendre.
Il savait que madame Bergeval travaillait souvent la nuit. Il descendit auprès de sa chambrière et l’envoya faire savoir à sa maîtresse qu’il avait à lui parler sur-le-champ.
Après une assez longue attente, la domestique revint lui dire qu’il pouvait monter, que madame consentait à le recevoir. Estève poussa brusquement la porte du salon qu’il fallait traverser pour arriver dans la chambre de sa belle-mère ; il marcha dans l’obscurité jusqu’à cette chambre et écarta l’épaisse portière de velours qui en fermait l’entrée. Aucune pensée coupable ne s’agitait en lui : il ne songeait qu’à la démarche qu’il faisait, et cependant son cœur palpita en pénétrant dans ce sanctuaire qu’une seule lampe surmontée d’un verre dépoli éclairait mollement. D’abord il chercha des yeux madame Bergeval.
Elle était nonchalamment posée sur une ottomane. Son visage blanc se détachait sur le fond sombre du meuble. Sa tête belle et fière à la fois s’appuyait sur son bras d’une irréprochable perfection. Il y avait un voluptueux désordre dans sa chevelure dont les boucles ruisselaient en flots d’ébène sur son cou nu. Elle était enveloppée d’un peignoir dont l’étoffe légère trahissait l’harmonie de ses formes.
Estève n’était pas aguerri à de semblables spectacles ; ébloui, interdit, il baissa les yeux.
Mais ce qu’il ne pouvait éviter, c’était cette atmosphère tiède, caressante, parfumée d’émanations féminines qu’il respirait.
— Pardonnez-moi, madame, balbutia-t-il en cherchant à raffermir sa voix, de vous importuner à cette heure.
— Vous ne m’importunez pas, Estève, je vous attendais, interrompit-elle doucement.
— Vous m’attendiez ? fit le jeune homme qui recula d’un pas, comme effrayé de ces paroles.
— Oui, car j’ai besoin de vous parler ; croyez-vous que je sois tranquille, que je vive depuis tantôt… Je veux savoir ce qui s’est passé entre vous et cet homme… vous l’avez provoqué peut-être…
— Oui, madame…
— Imprudent ! imprudent ! exclama madame Bergeval en se redressant et en joignant les mains d’un air de douloureuse compassion, tandis que ses yeux, à demi voilés, s’élevaient vers le ciel… Vous voulez donc périr ?… Oh ! je m’en doutais… c’est affreux ! si j’avais su !…
Cet intérêt que semblait lui porter madame Bergeval, fit passer dans le cerveau d’Estève une idée qui était bien de son âge : « Elle m’aimait, » pensa-t-il, mais se ressouvenant du motif qui l’amenait chez sa belle-mère, il se promit de ne pas faiblir, et l’image de son père infortuné, mourant, qu’il ne reverrait peut-être jamais, traversant tout à coup son esprit, l’affermit dans cette résolution. Il reprit donc avec tranquillité :
— Madame, au moment de me battre pour vous, j’ai une prière bien grave, bien fervente à vous adresser.
— Asseyez-vous, Estève, et parlez… Et ce que vous exigerez de moi à cette heure solennelle je vous promets que vous l’obtiendrez.
Le jeune homme prit un siège et commença…
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Mais laissons ensemble Estève et sa belle-mère et revenons auprès de M. Bergeval.
Aussitôt après le départ d’Estève il avait sonné son domestique.
— Robin, lui dit-il, vous viendrez cette nuit à trois heures : si je dors, éveillez-moi.
Et ayant congédié cet homme, il se mit à écrire.
Vers minuit, ayant achevé ses lettres, il se leva péniblement, détacha deux épées suspendues au mur, en essuya la poussière avant d’en mesurer la longueur.
— Il y a longtemps qu’elles n’ont servi, murmura-t-il en les examinant, c’était en 1822, un garde du corps avait insulté ma mère… noble femme ! elle n’avait pour la défendre, que moi et sa vertu… Sa vertu s’indigna et moi je me battis… mes bonnes lames ont fait leur devoir… le feront-elles aujourd’hui que la cause est si différente ?… Et puis, depuis 24 ans j’ai oublié bien des choses… voyons ce que je puis faire encore…
Il prit une des épées et s’essaya seul… Après quelques minutes de cet exercice, ses bras tombèrent, l’arme s’échappa de sa main et il se laissa choir sur son siège, brisé, sans forces…
— Je ne suis plus ce que j’étais, dit-il ; c’est fini… s’il choisit cette arme, Dieu m’aura abandonné… Ah ! ajouta-t-il avec un étrange rire, je n’aurai pas à regretter l’existence… qui donc me pleurera ? personne… personne !... Elle sera libre et heureuse, elle…
Il se reprit vivement en disant :
— Je suis injuste, et Estève… malheureux enfant… Oh ! il m’aime, lui ! et puis, il est trop jeune pour se passer de ma sollicitude… non, je ne voudrais pas mourir encore… que deviendrait-il ?…
Il passa plusieurs heures dans une immobilité complète et comme privé de tout sentiment. Il chercha, il appela le sommeil, mais le sommeil fut rebelle, il ne vint pas rétablir, par un peu de calme, l’équilibre dans cette nature désorganisée.
Un peu avant trois heures son domestique entra dans sa chambre.
— Dormez-vous, monsieur ? lui dit cet homme.
— Non, mon ami.
— Trois heures vont sonner…
— Je le sais… merci, Robin.
Le domestique regagna son lit.
— Qu’ils sont heureux, ces gens-là, soupira le peintre en le regardant sortir, ils dorment !… oh ! dormir c’est oublier… je ne dors plus, moi ! Il n’est plus qu’un sommeil que je puisse goûter… de celui-là on ne se réveille pas pour souffrir… La bonté de Dieu n’est-elle pas infinie ? elle a ouvert un refuge à toutes les douleurs… Que d’êtres ballottés par de terribles orages sur la grande mer de la vie, viennent goûter le repos sur cette plage dont le calme n’est jamais troublé.
Il relut les lettres qu’il avait écrites ; il y en avait trois : une adressée à Estève, une autre à sa femme, la dernière à son notaire.
Tout en murmurant quelques mots, il chercha sur son bureau, sous ses papiers, dans les tiroirs quelque chose qu’il ne trouva pas… Il essaya de se rappeler un moment, et sans doute sa mémoire lui vint en aide, car il posa la cire qu’il tenait, à la main, prit une bougie, ouvrit sa porte avec précaution et monta à l’étage supérieur où se trouvait le salon.
La porte était entr’ouverte, il entra, chercha dans une coupe de la cheminée, il y prit son cachet qu’il avait laissé sur un meuble la veille et que les domestiques avaient, selon toute apparence, rangé en cet endroit.
On était en été ; le jour commençait à répandre ce crépuscule blafard qui le précède, les instants étaient précieux. M. Bergeval reprit le chemin de la galerie… Toutefois au moment de quitter le salon il ne put s’empêcher de se retourner et de jeter un regard du côté de la chambre de sa femme. Il y avait dans ce regard qui pouvait être un adieu muet, un reflet de tous les sentiments qui tourmentaient cette pauvre âme brisée. C’était du mépris et du regret, de l’ironie et de l’amertume, de la colère et du pardon peut-être.
— Elle dort, pensa-t-il, elle rêve à son triomphe… Quel triomphe, mon Dieu ! vous qui savez de quel prix elle a dû le payer… Elle dort ! insoucieuse de cette idée qu’à cette heure un homme va se battre pour défendre cet honneur, qu’en le foulant aux pieds, elle a donné à chacun le droit de flétrir… Oh ! ce qui est blessé en elle, c’est moins son honneur que son indomptable orgueil !
Tout à coup il écouta attentivement.
Un soupir venait de s’échapper de la chambre de madame Bergeval ; il fut bientôt suivi d’un accent plus distinct.
Une invincible curiosité s’empara du peintre ; il fit quelques pas dans la direction de la chambre de sa femme.
Toutes les pensées les plus folles, lui arrivèrent simultanément, comme une bouffée.
— Si elle se repentait, se dit-il, si cette âme altière, abandonnée à elle-même, gémissait dans la solitude, si elle souffrait enfin ! mon Dieu, j’oublierais tout… tout ! et je mourrais consolé…
Il était arrivé jusqu’à la portière de cette pièce dont l’accès lui était fermé depuis plusieurs années ; il saisit d’une main tremblante et en proie à une indicible émotion la tapisserie qu’il écarta lentement…
Son œil curieux, avide, plongea dans l’appartement à peine éclairé par les dernières lueurs de la lampe expirante…
Immobile, silencieux, il resta pendant quelques instants absorbé dans cette contemplation.
Quand il laissa retomber la portière et qu’il se retourna pour jeter un coup d’œil de défiance autour de lui, son visage n’avait plus sa pâleur habituelle…
Il était livide.
Comme s’il eût été épouvanté de ce qu’il venait de voir, M. Bergeval s’enfuit.
Rentré dans son cabinet, il aperçut ses épées sur la table et les jeta au loin. Les lettres qu’il venait d’écrire il les brûla… c’est avec une volupté étrange qu’il suivit de l’œil les progrès rapides de la flamme dévorante.
— Le ciel est juste, dit-il, en accompagnant ces paroles d’un rire effrayant, il met un terme à mes irrésolutions, à mes lâchetés… Oh ! elle avait raison, j’ai été lâche.
Il prit son front entre ses mains, se pressa la tête avec une violence folle, en riant, pleurant, criant, trépignant…
— C’est infâme ! infâme ! infâme ! répétait-il.
Puis, quand cet accès de délire fut passé et qu’il découvrit son visage, il étendit lentement son poing crispé sur la table comme s’il allait prononcer un serment solennel et terrible, et dit d’une voix sombre :
— Je ne me bats plus… je vais me venger !
Ses yeux d’ordinaire si tristes et si doux brillaient d’un éclat sinistre lorsqu’il proféra cette imprécation. Il y avait une joie implacable, sauvage, empreinte sur tous ses traits convulsés.
Il s’élança sur les cordons de sonnette qu’il secoua à les rompre.
Julie et Robin accoururent.
— Dites à votre maîtresse, leur cria-t-il, qu’elle descende, que je l’attends ici.
Les domestiques obéirent. Un instant s’écoula et madame Bergeval parut.
Quelque rapide qu’eût été l’arrivée de sa femme, le peintre avait eu le temps de se remettre. Aux colères qui venaient de l’agiter, succéda chez lui une apparence complète de calme. Cette réaction subite s’explique par l’habitude qu’avait, été obligé de prendre depuis longtemps cet homme de concentrer en lui les bouillonnements de son âme. N’avait-il pas fallu qu’il dissimulât toujours au monde le mal sous lequel il pliait.
Dès qu’ils furent seuls, comme s’ils eussent également compris qu’une lutte irrémissible allait s’engager, l’homme et la femme se mesurèrent un instant du regard. Le résultat de cet examen fut pour chacun que son adversaire était ferme et se confiait en sa force.
Madame Bergeval n’était point accoutumée à rencontrer chez son mari une telle assurance de lui-même. Elle en ressentit une vague inquiétude. Pour l’empêcher de se traduire, elle dit brusquement :
— Que me voulez-vous ?
— Vous allez le savoir.
— Était-il indispensable de m’appeler à cette heure ?
— Indispensable.
— Me réveiller, troubler mon repos, ajouta-t-elle, en fronçant le sourcil.
— Dormiez-vous ?
Il y avait dans cette simple question du peintre et surtout dans la manière dont elle fut faite, une intention tellement évidente, une telle nuance d’amère ironie, que madame Bergeval resta embarrassée. Résolue à tout cependant, elle s’assit, posa son bras droit sur la table, battit d’un air impatienté la mesure avec le bout de ses doigts et dit en regardant en l’air :
— Je commence à comprendre ; c’est une querelle que vous voulez, soit !
— Non, entre moi et vous il n’y en aura plus.
— Tant mieux. Mais de grâce, expliquez-vous.
— Je vais le faire.
— De quoi s’agit-il, s’il vous plaît ?
— D’un récit.
— Comme au théâtre, dit madame Bergeval essayant de railler.
— C’est plus sérieux. Ne riez pas… s’il y a en vous quelque chose qui ressemble à du cœur, vous pleurerez en m’écoutant.
— Moi ? je vous avoue, monsieur, que je n’y suis nullement disposée.
— Oui, vous ; oui, glacée d’horreur, peut-être serez-vous tout à l’heure plus pâle que moi en ce moment.
— Où voulez-vous donc en venir… quel est votre but ?
Il se contenta de sourire…
Instinctivement madame Bergeval eut peur. De quoi ? elle ne se l’expliqua pas, mais elle eut réellement peur dans le fond de son âme. Toutefois, pour ne rien laisser percer de son trouble, elle se renferma dans une sorte de réserve dédaigneuse.
— J’écoute, monsieur, j’écoute, dit-elle, voyons si cela en vaut la peine ?
Elle attendit.
Le peintre s’assit en face d’elle, et, ses yeux fixés sur les siens, il commença :
« — Il y a des êtres que le malheur prend au berceau pour ne les quitter qu’à la tombe. Ma mère fut de ceux-là. Orpheline en naissant, son enfance, confiée aux soins d’une femme étrangère, fut sevrée de cette tendresse inépuisable que Dieu a mise dans le cœur de presque toutes les mères. Jusqu’à douze ans elle passa sa vie dans l’isolement et la tristesse. À cet âge on songea à se débarrasser d’elle et elle fut placée en apprentissage pour apprendre la passementerie. Vers la fin de 1804, un jeune militaire qui vint acheter ses épaulettes de sous-lieutenant dans la maison où elle travaillait fut frappé de sa beauté, l’aima et obtint sa main. Cette union, qui semblait devoir assurer à ma pauvre mère une vie plus heureuse, fut bénie au mois d’août 1805. Mais une troisième coalition venait de se former : elle menaçait non seulement la France mais encore les puissances ses alliées. Au commencement de septembre mon père reçut l’ordre de rejoindre son corps qui se dirigeait sur le Rhin. Il fallut obéir, se résigner… Ma pauvre mère resta veuve en quelque sorte après trois semaines de mariage. Depuis ce jour, jusqu’en 1815, elle ne revit son mari qu’à de rares intervalles. Puis la déchéance venue, mon père fut exilé par delà la Loire pour prix des services qu’il avait rendus à son pays ; Ma mère n’était pas une femme forte comme vous l’entendez, elle n’avait de force que celle du dévouement : c’était là la moindre de ses vertus. Elle suivit dans son exil le pauvre proscrit, partagea sa misère, et, par son angélique douceur, ramena le calme dans son esprit irrité. J’avais alors neuf ans, et les premiers spectacles qui frappaient ma vue étaient ceux de la souffrance. Comme vous le voyez, la vie ne m’apparaissait pas sous ses plus riantes couleurs et j’y entrais par la porte des afflictions. C’était pour l’avenir un funeste présage…
» Après les massacres de Marseille et de Nîmes, quand la fureur d’un pouvoir ombrageux se fut un peu ralentie, nous vînmes nous fixer à Embrun où ma mère donna le jour à un second fils.
» Cet enfant reçut le nom d’Estève. »
M. Bergeval avait prononcé avec effort cette première partie de son récit ; mais peu à peu, à mesure qu’il avança, cédant à la puissance des souvenirs, il oublia sa situation présente pour s’abandonner au courant des impressions du passé.
C’est sous cette influence qu’il poursuivit :
« — L’heure des épreuves n’était point passée pour ma pauvre mère ; elle allait commencer pour moi. Mon père tomba malade. Sa maladie fut longue, cruelle. Elle prenait sa principale source dans ses blessures. À la douleur que nous causait sa position, vinrent se joindre les plus vives inquiétudes. Nos ressources, extrêmement bornées, s’épuisaient chaque jour. Mon père ne recevait d’ailleurs que la moitié de sa pension de légionnaire, l’autre moitié était retenue pour payer les alliés et grossir les indemnités accordées par la Restauration aux émigrés. D’un autre côté, le brave militaire, forcé de garder le lit, avait perdu la petite place qu’il avait obtenue dans les douanes.
» Je venais d’atteindre ma seizième année et ne pouvais être d’aucun secours à ma famille. Un peintre d’Embrun qui avait reconnu en moi des dispositions pour le dessin, me donnait des leçons gratuites. C’était beaucoup déjà, et ma mère, qui entrevoyait un avenir pour moi dans cette carrière, préférait travailler les jours et les nuits en veillant son mari, plutôt que de me faire apprendre une profession manuelle.
» Noble femme ! elle passa ainsi cinq années soutenue par je ne sais quelle puissante énergie qu’elle puisait dans son cœur et qui l’élevait au-dessus d’elle-même. Privations, fatigues, douleurs, elle ne s’épargna rien pour accomplir dignement la lâche sublime dont elle sortit épuisée, mourante.
» Dans cette lutte contre la misère et le chagrin, elle laissa sa vie par lambeaux. Aussi lorsque mon père succomba après une lente agonie… ce fut le dernier coup…
» Le lit encore chaud de fièvre qu’abandonnait mon père pour se rendre à sa dernière demeure, elle le reprit aussitôt. On eût dit qu’elle avait usé ce qui lui restait de forces à attendre qu’il le quittât pour ne pas l’en déposséder.
» Combien de ces dévouements accomplis dans l’ombre ne retentissent jamais au delà du foyer domestique et n’ont pour couronne que celle du martyre, pour récompense que celle que Dieu leur garde !
» À dix-huit ans je restai seul à ma famille. Par bonheur, dans les derniers temps de la maladie de mon père, j’avais fait des progrès rapides qui me mettaient à même de gagner un peu d’argent en peignant des portraits et en faisant des copies. Sans doute, en me livrant à cette spécialité d’une manière absolue, mes grandes études devaient en souffrir, mon avenir se trouvait compromis ; mais entre un avenir brillant qui m’attendait peut-être et le présent quelque sombre qu’il fut, je n’hésitai pas. Les sacrifices que le cœur commande ont une si grande volupté, qu’il est doux de les accomplir. Je travaillai avec ardeur : ma mère eut des soins, rien ne lui manqua, rien que la tranquillité de l’âme. C’est que, hélas ! mes efforts étaient impuissants à prévenir un nouveau malheur que son instinct maternel pressentait. Le sort n’abandonne point ainsi ses proies.
» Mon petit frère était un de ces enfants mièvres et chétifs que la nature doue prématurément des facultés d’un âge plus avancé. L’âme, trop grande pour le corps, tendait à briser son enveloppe terrestre pour s’en échapper. Estève, à six ans, n’avait que peu des goûts et du caractère des autres enfants. Né dans des circonstances difficiles, élevé au sein de l’infortune, le sérieux de l’existence s’était reflété sur son jeune visage. À le voir avec son teint pâle, sa peau fine jusqu’à la transparence, ses grands yeux d’un bleu foncé qui avaient une expression de gravité profonde ; à le voir enfin avec ses longs cheveux séparés au milieu de son front intelligent, et retombant en boucles blondes sur ses épaules, on eût cru un de ces anges rêveurs qui ne font que descendre un instant sur la terre pour connaître les maux de l’humanité et les aller raconter à Dieu.
» Hélas ! il n’était que trop vrai : les larmes de notre mère, qui avaient souvent baigné son berceau, allaient, ainsi qu’un baptême de douleur, couler bientôt sur sa tombe…
» Et les miennes, mon Dieu !…
» Le deuil entra de nouveau dans notre demeure. Comme une de ces pâles lueurs qui s’agitent et meurent au moindre souffle, Estève s’éteignit…
» Oh ! ma mère ! son désespoir n’eut pas de limites… vous l’eussiez prise en pitié.
» La mort de cet enfant m’enleva toute espérance de la rappeler à la vie. Les soins dont je l’entourai furent vains.
» — Ton frère m’appelle et j’y vais… me dit-elle.
» J’étais seul désormais en ce monde, seul ! Tous trois étaient partis… ils m’avaient délaissé !
» Quand je rentrais sous ce toit qui avait abrité tant de souffrances, qui avait voilé tant de dévouements, rien ne saurait rendre l’impression que j’éprouvais. C’était un vide glacial, un silence morne qui m’accueillaient. Vainement je portais autour de moi un œil troublé, je n’y rencontrais rien de ce qui m’avait été cher. Un froid mortel me saisissait le cœur, et je pleurais, je pleurais !… Il m’était impossible de m’accoutumer à cet isolement, et cependant je ne voulais point abandonner un lieu qui me rappelait tant de souvenirs.
» Oh ! que c’est une triste chose pour le pauvre, pour l’orphelin, de voir la gaieté sur tous les visages et de rentrer chez lui où rien ne l’attend, pas même un chien ; rien que le froid et la faim, et de rester ainsi face à face avec l’horreur de la solitude et du dénûment. Aucune main amie ne heurte à la porte du malheureux, aucune parole consolante ne vibre à son oreille ; délaissé, oublié, il n’a de bonheur que les larmes. »
Ici le peintre inclina son front sur sa main et resta songeur.
Sa femme prit la parole :
— Certes, monsieur, lui dit-elle, ces regrets sont très naturels, très légitimes, et je les comprends ; mais permettez, je ne vois pas en quoi ils peuvent m’intéresser comme vous le prétendez.
— Vous avez raison ; je me suis laissé entraîner un peu loin, dit M. Bergeval rappelé soudainement à lui-même. Mais pour l’intelligence de mon récit, je suis obligé de vous parler de moi plus souvent que je ne le voudrais. Maintenant je suis bref.
Chacun d’eux reprit sa position ; il continua :
— Mon maître, qui connaissait ma situation, avait déjà fait beaucoup pour moi. En cette occasion il vint encore à mon aide. « Jacques, me dit-il, il faut reprendre vos études. » Il fut convenu que tous les soirs je recevrais de nouvelles leçons ; le jour devait être consacré au travail qui me faisait vivre. Il espérait, en occupant ainsi tous mes instants, faire diversion à la tristesse dont j’étais obsédé. Il fit plus, il chercha pour moi des travaux. Une fois, entre autres, prié de faire les portraits d’une riche famille qui occupait une vaste propriété au pied des Alpes, il allégua de nombreux travaux, me présenta à sa place et j’eus le bonheur d’être agréé.
« On était en 1829. L’hiver fut des plus rigoureux. La neige encombrait les routes, et cependant chaque matin je partais à travers la campagne et les monts pour accomplir mon travail ; avant la fin du jour, quelque prière qu’on m’adressât pour rester, je revenais à Embrun prendre mes leçons. Cet exercice, ce travail assidu me furent salutaires.
« Il y avait quinze jours que je me rendais exactement au château, lorsqu’un matin je vis s’avancer à ma rencontre, dans un chemin creux que je suivais, un homme et un enfant.
» L’homme était un robuste vieillard aux traits fortement caractérisés et qui portait le costume des paysans des Alpes.
» L’enfant à qui il donnait la main pouvait avoir quatre ans. Ses pieds se perdaient dans d’énormes sabots emplis de foin qui faisaient crier la neige. Il avait un pantalon en étoffe brune qui lui descendait aux chevilles ; sa veste, trop étroite, lui couvrait à peine les reins, et sous le petit gilet fermé par d’immenses boutons de métal, on apercevait une chemise en toile épaisse. Il avait sur la tête un bonnet de laine long et fourni qui lui couvrait les oreilles et une partie du front.
» Tout cela était grossier, mais propre.
» La bise soufflant avec fureur chassait devant elle le givre qui venait fouetter la figure des deux voyageurs.
» L’enfant pleurait et tenait sa main nue, gonflée et violacée par le froid, sur ses yeux.
» Quand la distance qui nous séparait fut moins grande, je vis que le vieillard, lui aussi, avait de grosses larmes qui roulaient silencieusement le long de ses joues rudes et venaient se perdre dans sa barbe grise où elles se congelaient. Il portait sous le bras un petit paquet de hardes communes.
» Celui qui a souffert s’intéresse à toute douleur. Au surplus, dans ces contrées qui s’éloignent de toute civilisation, il n’est pas rare de se parler lorsqu’on se rencontre. Selon l’usage, le paysan me salua. Je lui rendis sa politesse, et, m’approchant de lui, je me pris à dire d’un ton de commisération :
» — Votre petit a bien de la peine à marcher ; il a froid… cela le fait pleurer.
» — C’est pas mon enfant, dit tristement le montagnard, et quant au froid, c’est pas pour ça qu’il pleure ; il y est habitué.
» — Vous allez à Embrun ?
» — Oui, monsieur.
» — Vous avez encore deux lieues à faire… c’est pénible de ce temps et par un chemin pareil.
» — Bah ! c’est rien ! dit le paysan.
» En m’entendant parler, le petit retira sa main de dessus ses yeux pour me voir…
» Je fus frappé de la ressemblance qui existait entre lui et mon frère, et je me laissai aller à le considérer. Sans doute ce n’était plus cette peau blanche, ces cheveux dorés, bouclés avec soin, mais c’était bien le même regard qui brillait à travers ses larmes, le même front qui se dissimulait sous son lourd bonnet de laine, et surtout cette même expression chagrine, contristée. C’était moins les traits d’Estève que sa physionomie. Je ne sais pourquoi je sentis mon cœur battre à la vue de cette image de mon frère… celui-ci avait les indices d’une santé robuste, ses joues étaient rebondies, colorées ; ses membres, endurcis au froid, à la fatigue, se dessinaient déjà souples, ronds et fermes, tandis que ses épaules tendaient à s’élargir, à s’évaser.
» Aussitôt que je le vis, j’aimai cet enfant. Quant à lui, il ne pleurait plus ; il me regardait avec un étonnement naïf, comme si de son côté il éprouvait un certain plaisir à me voir.
» — Ah ! ce n’est pas votre fils ? dis-je machinalement au vieillard.
» — Hélas ! non, monsieur. C’est une pauvre créature d’enfant qu’on a apportée à ma femme, il y a de ça quatre ans. Elle l’a nourri de son lait ; nous en avons pris soin, nous l’aimons… mais voilà trois ans, vienne la Purification, que nous n’avons reçu ni argent ni nouvelles de sa mère. Comme le pain manque à la maison, j’ai consulté monsieur notre maire qui m’a engagé à le conduire à l’hospice d’Embrun : j’y vas !
» En entendant cette péroraison, l’enfant se remit à pleurer.
» — N’avez-vous rien qui puisse vous mettre sur les traces de ses parents ?
» — Rien ! Sa mère, qu’est sans doute quelque jeunesse qu’a commis une faute, nous a écrit deux fois, il y a trois ans, pour nous dire de prendre patience, mais il n’y a pas d’adresse sur ses lettres, et l’adresse qu’elle nous avait donnée était fausse.
» — Cela vous afflige de le mettre aux enfants trouvés ?
» — Oh ! oui, monsieur. Si quelqu’un d’aisé s’était chargé de lui, nous aurions su au moins qu’il était heureux ; mais là…
» Une pensée subite brilla dans mon cerveau, j’y obéis comme à une inspiration.
» — Venez ! dis-je au vieillard.
» Je saisis la main de l’enfant, et oubliant mes travaux, l’argent qui devait m’être compté ce jour-là, je rebroussai chemin. Le paysan ne comprenait pas ; le petit levait ses grands yeux sur moi d’un air plus rassuré.
» Arrivés chez moi, j’allumai du feu et leur donnai à manger.
» — Tout à l’heure, dis-je précipitamment au vieillard, vous avez désiré voir quelqu’un se charger de ce pauvre enfant… je ne suis pas riche, mais confiez-le moi, il sera heureux… comme lui, je suis orphelin ; eh bien, il sera ma famille comme je serai la sienne… le voulez-vous ?
» — Et il n’ira pas à l’hospice ? demanda anxieusement le vieillard.
» — Jamais !
» — Oh ! prenez-le, monsieur… le bon Dieu vous bénira.
» Ce fut une scène attendrissante ; nous pleurâmes tous les trois. Combien je fus heureux !
» Il fut convenu que j’irais voir ce brave homme, qu’il me remettrait les lettres de la mère du petit. Je devais chercher à retrouver sa famille, et si mes démarches restaient sans résultat, comme il y avait tout lieu de le supposer, je le garderais avec moi.
» Comme il était gentil mon pauvre enfant lorsque je l’eus r’habillé, nettoyé, peigné. Il m’aima bien vite et je m’y attachai de même. Ma vie eut dès lors un but plus positif, et j’éprouvai de ces joies profondes, pures, qui me rendirent les espérances d’avenir qui s’étaient assoupies en moi lorsque je m’étais trouvé seul.
» Je me proposais d’aller chercher les lettres de la mère de Thomas, c’était son nom, quand mon professeur, dont l’amitié pour moi ne se ralentissait point, m’annonça un jour qu’on l’avait chargé de peintures importantes pour l’une des églises de Nîmes et qu’il ne tenait qu’à moi d’entrer hardiment dans la carrière que je voulais suivre, en l’aidant dans ce travail. J’acceptai ce bienfait de la Providence et je partis tout de suite avec lui. Thomas nous accompagna.
» Ces travaux importants, d’autres qui les suivirent, la révolution de juillet qui éclata, furent autant d’obstacles aux projets que je formais sans cesse d’aller revoir le vieux paysan qui m’avait confié Thomas. Plus j’avançais, plus mes occupations devenaient multipliées. J’avais peu de temps à moi : ma réputation commençait à s’établir dans le midi de la France.
» Plusieurs années s’écoulèrent pour moi, partagées entre le temps que je donnais à de grands ouvrages et celui que je consacrais à Thomas, que, en souvenir de mon frère et pour rendre plus complète l’illusion de mon cœur, je nommai Estève. Cet enfant était devenu le mien : j’élevais son enfance, je formais sa jeunesse, il portait mon nom… On eut la pensée que c’était réellement mon fils ; je ne combattis pas une erreur qui m’était douce. »
À mesure que le peintre avançait dans son récit, sa femme l’écoutait avec plus d’attention.
— Ainsi, dit-elle avec un véritable étonnement, Estève n’est pas votre fils ?…
— Non, madame et j’en bénis le ciel ! Lorsque en 1835, je vous rencontrai aux eaux des Pyrénées et que après une assez longue attente, j’obtins votre main, si je vous laissai ignorer cette particularité, c’est que j’ai craint qu’à vos yeux, un jour, l’enfant étranger fût moins considéré que mon fils.
— Poursuivez, poursuivez, dit madame Bergeval avec une certaine agitation.
— Ma vie avec vous n’a été qu’une longue chaîne de douleurs, reprit en s’animant le peintre ; parce que mon amour me rendait faible devant vos volontés, vous m’avez considéré comme un homme nul, incapable de vous comprendre, bon tout au plus pour vous admirer… Vous m’avez repoussé, moqué, bafoué ; vous avez versé le désespoir, la honte dans les plaies vives de mon âme… Sous l’empire de ce mal ma vie s’est flétrie, usée ; ma santé s’est perdue, mes facultés se sont abâtardies… voilà ce que vous avez fait de moi !… que vous importait à vous ma souffrance, puisque vous ne m’aimiez pas… comment votre cœur sec et égoïste eût-il pu s’émouvoir ?… Dix années d’angoisses et de tortures m’ont bien puni de cet amour que je croyais infini et qui vient soudainement de s’éteindre. Vous riiez de mes plaintes et vous déchiriez plus avant mon âme par vos dédains… Ce n’est pas tout, aux tourments que me causait votre indifférence, vinrent se joindre ceux d’une jalousie fondée.
— Monsieur…
— Oh ! laissez-moi dire sans m’interrompre. À cette heure, j’ai rejeté loin de moi toute faiblesse… oui, vous me trompiez, non par passion, non par entraînement ; mais, froidement ambitieuse, vous faisiez servir votre beauté à cette ambition fatale qui ne trouve place dans certains cœurs déshérités, qu’à défaut de vertueuses croyances et de sentiments généreux. Mon indignation a grandi ; je ne vous estimais plus, mais je vous aimais encore… C’était de la folie, de la lâcheté ; mais je vous aimais !… Comme à un enfant gênant et malade à qui l’on jette des hochets, vous m’avez jeté des faveurs, des croix, des rubans… Je les ai repoussés, car c’est au prix de l’honneur de mon nom que vous les achetiez…
— Monsieur ! s’écria madame Bergeval avec violence.
Mais la voix vibrante de son mari domina la sienne.
— Vingt fois, répéta-t-il, vingt fois, lorsque vous passiez resplendissante de santé, parée de tous les attraits les plus séduisants, auprès de moi, pauvre et chétif que vous insultiez de votre dédain, ma bouche s’est ouverte pour prononcer une parole qui vous eût écrasée ; vingt fois encore, lorsqu’une foule imbécile exaltait votre talent, tandis que, à votre exemple, elle me considérait d’un œil de pitié, moi qui étais si peu de chose auprès de vous, que vous m’eussiez foulé aux pieds si je me fusse rencontré sur votre passage, ombre d’homme, fantôme d’époux, j’ai été sur le point de me relever et de crier avec cette force que donnent l’indignation et le mépris : « Cette femme que vous encensez n’a pas de cœur : jeune fille, elle a déshonoré sa famille ; épouse, elle a trahi et déshonoré son époux ; mère, elle a outragé la nature… Elle n’a pas de cœur, vous dis-je, elle a repoussé son enfant !
— Son enfant… son enfant… que voulez-vous dire ? oh ! parlez ! dit madame Bergeval dont les traits exprimèrent plus de terreur que de colère.
— J’aurais pu dire cela, ajouta le peintre d’un ton sombre, car je pouvais le prouver ; le secret de votre vie m’est connu… Vainement vous avez trompé ma foi, vainement vous m’avez menti… je sais… tout… c’est là ma vengeance…
— Quel supplice me préparez-vous ? au nom du ciel expliquez-vous !… exclama-t-elle saisie d’un trouble inexprimable.
— Il y a huit ans, je vous quittai pour faire un voyage dans les Alpes… J’ai recherché le vieillard qui m’a confié Estève… je l’ai trouvé, et ces lettres qu’il m’avait promises, il me les a données…
— Où sont-elles ?
— Là, là, attendez… les voici…
Et M. Bergeval, en proie à un tremblement nerveux, les sortit d’un coffret fermé à clé et les mit sous les yeux de sa femme atterrée.
— Les reconnaissez-vous, madame ? c’est là la première page de cette histoire commencée par une faute et achevée par un crime, n’est-ce pas ?…
— Oui, oui, murmura-t-elle d’un accent étouffé.
— Oh ! moi aussi, cette écriture, ce nom de Suzanne m’ont frappé ; je les ai reconnus, et comme vous j’ai senti ma tête se briser à cette révélation.
— Mon Dieu ! mon Dieu ! est-ce possible !
— Mais je vous aimais alors, et mon amour fut plus grand que ma colère, plus grand que mon mépris. « Non, me dis-je, je ne la forcerai pas à rougir devant moi. » Et je me suis tu.
— Pourquoi l’avez-vous fait ?… quel forfait vous eussiez empêché !
— Je le sais, mais ce forfait me venge… il est votre châtiment.
— Que savez-vous ? fit-elle en le considérant d’un œil hagard.
— Cet enfant, dont j’ai mis vingt ans à faire un honnête homme, je sais que peu d’heures vous ont suffi pour le rendre infâme… c’est ainsi que votre orgueil vous a conduite, de faute en faute, à l’adultère, à l’inceste !
— Accablez-moi, je le mérite ; prodiguez-moi l’insulte, mais ne m’obligez pas à rougir devant lui ; votre colère me sera douce s’il ignore…
— Je n’ai plus de colère, madame ; elle s’est éteinte en moi en même temps que mon amour… je n’ai même plus de mépris… vous le voyez, je suis calme et indifférent.
M. Bergeval dit cela d’un ton glacial.
— Eh bien ! monsieur, promettez-moi que jamais Estève ne saura…
— Ne l’appelez plus de ce nom : c’est celui de mon frère, ce n’est pas le sien. Il n’a plus de nom pour moi, car je lui retire aussi le mien, puisqu’il s’est uni à vous pour flétrir… c’est votre enfant, c’est votre fils à vous ; il ne m’est rien, je ne le connais plus… reprenez-le, non tel qu’il est sorti de mes mains, mais des vôtres…
— Il est impossible que vous soyez sans pitié… cette amitié que pendant vingt ans vous lui avez vouée…
— Elle vient de s’éteindre.
— Oh ! vous l’aimez encore…
— Non… non…
La pendule sonna cinq heures.
La même pensée leur vint simultanément, car ils se regardèrent…
— Ah ! monsieur, je l’avais oublié… à cette heure il se bat, il succombe peut-être, dit madame Bergeval effrayée.
— Pour venger votre honneur !... Si le hasard ne m’avait tout dévoilé, j’aurais devancé son réveil, j’aurais frappé son adversaire, ou je serais mort… Dieu n’a pas voulu que je fusse plus longtemps dupe… J’ai découvert le crime de votre fils et j’ai compris alors qu’il avait un double titre à vous défendre.
— Oh ! raillez-moi !… raillez-moi ! vous avez voulu être vengé, vous l’êtes : j’endure en cet instant les tortures de la plus affreuse alternative… Cet enfant que j’ai rendu coupable existe-t-il encore ? a-t-il péri ?… S’il vit, s’il doit apprendre quels liens l’unissent à moi, quelle honte ! S’il meurt, c’est moi qui l’aurai tué, moi, sa mère… quel remords… Quoi qu’il advienne, monsieur, ne l’abandonnez pas… je sais combien je vous ai fait souffrir ; j’ai porté le désordre dans votre maison, le désespoir dans votre âme ; j’ai détruit votre ouvrage, j’ai insulté à vos plus nobles sentiments d’époux et de père, j’ai abrégé vos jours, je le crois ; mais pensez-vous que je ne sois pas assez punie ? En empoisonnant votre vie, j’ai brisé la mienne, et mon lâche cœur, longtemps fermé, s’est soudain rouvert pour sentir toute l’amertume de mes regrets… Vous devez me haïr, je le sens ; eh bien, je vous délivrerai… Je vais partir sans revoir mon fils. Ce n’est plus pour moi, c’est pour lui que je veux vous prier. Conservez-lui votre affection, rendez-lui votre estime ; ne le privez pas du nom sans tache que vous lui avez donné… S’il n’a plus de famille, de nom, d’appui, que voulez-vous qu’il devienne ?… L’infortuné ! Sa mère qui l’a abandonné une fois déjà, va le fuir encore… Si j’avais ! si j’avais su !…
Tant de sentiments extrêmes se partageaient l’âme de la coupable qu’elle ne savait lequel exprimer. Mais ce qu’elle redoutait surtout, c’était de reparaître devant Estève. Cette femme qui, en mainte occasion, avait donné des preuves éclatantes de son mépris pour les préjugés du monde ; cette femme qui avait si souvent foulé aux pieds les convenances, se sentait prise d’une indicible terreur à la pensée de rencontrer le regard de son fils coupable pour elle et par elle. Il y a chez les êtres les plus pervers des instincts de pudeur qu’on ne soupçonnerait pas toujours, si les circonstances ne les éveillaient et ne les mettaient au grand jour. Et puis, à cette honte qui pesait de tout son poids sur la tête de la coupable, se joignait le remords de ce qu’elle avait fait et celui non moins cuisant que lui causaient les dangers d’Estève.
Quant à M. Bergeval, trop de secousses et d’efforts l’avaient abattu. Tout ce qui venait de se passer était si effroyable, si étrange, qu’il se sentait à bout et de courage et de forces. Il se rassit.
— Vous ne m’avez pas répondu, monsieur, lui dit sa femme ; je vais partir, n’est-ce pas ?… vous le voulez ?…
— Oui, oui, répondit-il véhémentement.
— Mais mon fils, mais Estève… n’aurez-vous point pour lui des pardons ?… Si on allait le rapporter blessé mourant, ensanglanté, et qu’il tendît vers vous ses bras, auriez-vous la force de le repousser ?…
— Je l’aurais…
Une voiture s’arrêta devant la maison ; il se fit un bruit de voix dans la cour, puis sous le péristyle…
On monta l’escalier.
— Monsieur, monsieur, s’écria Julie en entrant, venez vite…
— Qu’est-ce ? demanda le peintre avec une sorte d’appréhension.
— Monsieur Estève…
— Parlerez-vous, malheureuse, exclama madame Bergeval, vous me faites mourir !
— On le rapporte.
— Mort ?
— Non… non… blessé ; il vous demande, monsieur.
— Seigneur ! gémit madame Bergeval qui cacha son visage dans ses mains.
Le peintre se leva brusquement et s’élança vers la porte comme s’il eut obéi à un irrésistible entraînement. Mais s’arrêtant tout à coup, il dit en se tournant vers sa femme :
— Allez, allez donc, madame… ce doit être vous qu’il attend.
— Je n’ose pas… je n’ose pas…
Il n’en attendit pas davantage. Cédant à une impulsion plus forte que sa volonté, il courut à la chambre d’Estève.
Pendant qu’on allait chercher un médecin, il resta enfermé seul avec le jeune homme.
Lorsqu’il sortit, il tenait sa main sur ses yeux et marchait en chancelant.
Madame Bergeval l’attendait sur le palier, frémissante, épouvantée.
— Eh bien ? lui demanda-t-elle d’une voix où se traduisaient toutes les anxiétés de son cœur…
— Quel malheur ! c’est affreux !
— Il est donc mort ! s’écria-t-elle avec exaltation.
— Monsieur, dit Julie, qui accourait essoufflée, voici le docteur.
— C’est inutile.
— Inutile ? grand Dieu ! exclama madame Bergeval.
Éperdue, elle poussa résolûment la porte et vint se jeter sur le corps du jeune homme.
— Estève, Estève, mon fils, réponds-moi, cria-t-elle.
Silence.
Elle le considéra un instant d’un œil égaré.
Ce n’était plus qu’un cadavre.
Le cri qu’elle arracha de sa poitrine fut déchirant :
— Ah ! misérable ! je l’ai tué !…
Sa vue se troubla, sa langue s’épaissit, ses jambes faiblirent, et se rejetant en arrière avec un sentiment d’horreur, elle vint tomber sans connaissance entre les bras du médecin, de M. Bergeval et de Julie qui l’avaient suivie dans la chambre.
Par une matinée pluvieuse de l’été dernier, j’allai voir un de mes bons amis, le docteur X** qui dirige une maison de santé à Picpus. Je n’avais guère eu le loisir de choisir le jour, ni de consulter l’état du ciel : mes occupations m’accordaient un moment de relâche, j’en profitai pour payer une ancienne dette à l’amitié.
J’arrivai chez mon docteur ou plutôt à la maison de santé, à dix heures, juste comme cet excellent X** achevait sa visite du matin.
Après nous être serré cordialement la main et nous être enquis de l’état de nos affaires respectives, nous déjeunâmes. Mais pendant tout le repas, X** me parut soucieux, distrait, préoccupé.
— Qu’avez-vous aujourd’hui ? lui dis-je ; serais-je venu mal à propos ?
— Du tout… mais j’ai un de mes pensionnaires qui est fort mal et je crains qu’il ne passe pas la journée.
— Je comprends d’autant plus votre inquiétude, que cela discrédite une maison. Le public ne fait jamais la part de la nature : il veut, bon gré mal gré, que le médecin sauve le malade.
— D’abord cela… et puis il y a plus…
— Qu’est-ce donc ? demandai-je, ne supposant pas que la mort d’un homme pût affecter l’âme de ce bon docteur.
— Ce pensionnaire est pour moi plus qu’un client… c’est un ami…
— Vraiment…
— Aussi, me permettrez-vous de vous quitter tout à l’heure pour retourner auprès de lui, n’est-ce pas ?
— Je ferai plus, si vous y consentez, j’irai avec vous.
Cette proposition le mit plus à l’aise.
— C’est cela, dit-il.
Je vis que je l’avais embarrassé jusqu’alors. Il avait peu mangé. Il se leva dès que j’eus fini et m’engagea à le suivre.
Nous arrivâmes à une petite chambre située au premier étage d’un autre corps de bâtiment. Cette pièce était meublée on ne peut plus simplement, mais tenue avec une propreté extrême. Quoique les rideaux tirés interceptassent les rayons du jour déjà sombre, tout y était luisant depuis le carreau jusqu’au mince mobilier de noyer. Un aide en tablier blanc était assis devant la croisée. Le docteur écarta les courtines grises d’un lit placé à l’une des extrémités de la chambre ; j’avançai curieusement la tête par-dessus son épaule et je pus voir une figure d’homme dont la maigreur et les yeux fixes et vitreux me causèrent une impression pénible.
Son immobilité était complète.
Mon ami prit le bras décharné du malade, il lui toucha le pouls, et sans doute le résultat de cet examen ne fut pas satisfaisant, car il serra les lèvres, fronça légèrement le sourcil et secoua la tête d’un air significatif. Laissant alors retomber le rideau, il interrogea l’aide de service.
— Il n’y a pas eu de mieux depuis que vous l’avez quitté, répondit celui-ci presque bas ; il vient d’avoir une nouvelle crise et est retombé inerte. J’ai cru qu’il allait expirer.
— S’il se produit quelque phénomène, envoyez-moi chercher… Surtout ne le quittez pas.
Nous revînmes au salon du docteur.
— Quelle est la maladie de cet homme ? demandai-je.
— Une désorganisation générale. Le chagrin l’a rendu fou.
— Est-ce de cela qu’il meurt ?
— Non ; ce désordre des facultés intellectuelles est compliqué d’une hypertrophie du cœur arrivée à sa dernière période. Des émotions violentes, des douleurs continues pendant onze ans ont amené ces résultats inexorables.
— Cet homme doit bien souffrir.
— Moins à présent que par le passé. La vie de cet infortuné est toute une histoire, effrayante, terrible, pleine d’alternatives et de déchirements. Elle fournirait le sujet d’un roman, vous qui en faites.
— Vous la connaissez ?
— Oui. Sur quatre jours, il a à peu près un jour de raison… Pendant ces courts instants de lucidité, il m’a raconté sa vie… C’est, je vous le répète, une triste histoire.
— Vous me la direz, docteur…
— Plus tard. Tant que cet infortuné vit, je ne puis révéler un secret qui est le sien et qu’il m’a confié… Je l’excitais à ce récit des tourments de son âme, car il pleurait comme un enfant et les larmes lui faisaient du bien :
En ce moment une voiture s’arrêta devant la grille de la maison.
Je m’approchai de la fenêtre et je vis une femme élégamment vêtue descendre d’un riche équipage. Comme le domestique refermait le marchepied, un homme d’environ soixante ans, à l’air respectable, décoré, se pencha par la portière et dit quelques mots à cette dame qui y répondit par un signe affirmatif.
Puis elle se dirigea vers la maison, tandis que la voiture allait attendre à quelque distance.
— Oh ! c’est elle ! dit le docteur qui avait aussi remarqué cette scène.
L’inconnue (pour moi du moins) passa la grille, traversa l’allée sablée et monta les quelques marches du perron.
Son maintien était rempli d’aisance, ses manières étaient distinguées, et bien qu’elle eût de trente-huit à quarante ans, son visage un peu fatigué conservait l’éclat d’une beauté que l’âge semblait avoir moins altérée qu’épanouie.
Lorsqu’elle entra, elle nous salua légèrement ; je me sentis pris d’une singulière émotion.
Le printemps passé, durant mes longues promenades au Luxembourg, j’avais eu l’occasion de remarquer assez souvent sur la terrasse de l’ouest une femme dont la beauté m’avait frappé. Je la voyais seule, occupée d’une lecture et traçant des annotations au crayon sur son livre.
Parfois un homme âgé l’accompagnait.
Je l’avais encore rencontrée au théâtre, aux bibliothèques, à l’Académie ; toujours parée, toujours souriante… Elle paraissait heureuse.
Et moi, j’avais été heureux de son bonheur ; car, comme ces désœuvrés qu’aucun sentiment ne captive et qui se laissent entraîner insoucieusement au courant de toutes leurs impressions, à force de la voir, de la contempler, je m’étais complu à en faire l’objet d’une passion muette dont le secret enfermé dans mon cœur me procurait de doux instants de rêverie. D’ailleurs, je ne la connaissais pas et n’avais rien fait pour la connaître ni pour me faire remarquer d’elle. Ma platonique extase eût perdu le charme que lui prêtait le mystère, si ma curiosité eût été satisfaite.
C’était cette femme qui venait d’entrer dans le salon.
L’accueil froid que lui fit le docteur me surprit.
— Je viens, monsieur, dit-elle à X**, vous solder le mois de votre pensionnaire.
— Veuillez vous asseoir, madame.
— Comment s’est passé ce mois ?…
— Mal…
— Rassurez-moi, dit-elle d’une voix lente ; ce ne sera rien, n’est-ce pas, monsieur ? Vos soins intelligents rétabliront cette santé délabrée… et ma prochaine visite…
— J’ai peu d’espoir, madame.
On l’attendait, elle semblait avoir hâte d’en finir.
— Je ne puis pas le voir, non…
— C’est impossible…
— Eh bien ! s’il survenait quelque chose de nouveau, veuillez me l’écrire… Mais je me plais à croire que l’intérêt que vous portez à ce pauvre malade fait que vous vous alarmez un peu facilement... J’ai meilleure confiance en lui… et en vous, monsieur…
Il y avait une légère nuance d’ironie dans ces paroles.
M. X** fut sur le point de répondre, mais il se contint.
Elle sortit 200 francs en or de sa bourse et les donna à mon ami qui lui rendit un reçu.
En cet instant un garçon de la maison vint tout essoufflé chercher le docteur…
— Je vous laisse, monsieur, dit mon inconnue.
— Attendez-moi, je vous prie, un instant et je reviens…
Il s’élança précipitamment sur les pas du garçon.
Nous restâmes seuls.
Je me crus obligé de faire les honneurs du salon de mon ami en son absence. J’échangeai quelques mots avec cette femme. Je lui parlai de littérature, d’arts. Elle s’exprimait avec netteté et chaleur sur les questions à l’ordre du jour.
Dix minutes s’écoulèrent ; le docteur ne revenait pas ; elle s’impatientait.
— Mon Dieu, monsieur, me dit-elle tout à coup, après avoir consulté sa montre à différentes reprises, veuillez avoir l’obligeance de m’excuser auprès de M. X**. Je n’ai plus rien à lui dire et je vois qu’il est retenu auprès d’un de ses malades. L’attendre serait trop long ; je suis très pressée : il faut que je sois à l’Académie à deux heures… je n’ai pas une minute à perdre.
Elle sortit au moment où le valet de pied venait lui dire :
— M. le comte prie madame de se hâter.
— J’y vais, répondit-elle.
Elle me salua à peine, dans son empressement. Je la vis monter légèrement en voiture et, les chevaux partirent au galop dans la direction de Paris.
Cinq minutes plus tard le docteur reparut.
Il jeta un coup d’œil rapide autour du salon.
Sa pâleur, son agitation étaient extraordinaires.
— Elle est partie ? me dit-il brusquement.
— Il n’y a qu’un instant.
Et je lui transmis les excuses de l’inconnue.
— Elle est partie pour l’Académie ?… Elle n’a pas attendu que son mari fût mort !... C’est toujours la même chose… Pas de cœur, pas de cœur !…
— Son mari ? repris-je, étonné.
— Oui, ce malheureux que vous avez vu ce matin.
— Il est mort ?…
— Dans mes bras…
Ceci nécessitait une ample explication. Je suppliai M. X** de me la donner…
Le soir, après sa dernière visite faite, le docteur fit apporter une bouteille de madère et des cigares. Nous nous enfermâmes dans son cabinet, et là, cédant à mes instances, il me raconta dans tous les détails les plus intimes l’histoire qui fait le sujet des précédents chapitres. M. Bergeval était son malade, son ami dont il venait de recevoir le dernier soupir.
Le lecteur l’a deviné.
M. X** fortement impressionné par ce récit le termina en disant :
— Avec l’amour du peintre, avec la perte de sa dernière affection, sa raison s’était en allée. La mort d’Estève lui avait porté le dernier coup. Il avait un de ces cœurs que le vide tue. Un moment, madame Bergeval s’était repentie en se retrouvant seule devant tant de désastres qu’elle avait causés. Et puis, elle se sentait si coupable ! Elle se réfugia dans un couvent, rompit toutes ses relations ; mais elle ne put se faire à cette vie calme ; l’ambition n’était pas éteinte en elle ! Elle quitta bientôt sa retraite. Sous le prétexte de consulter de savants praticiens, elle conduisit son mari à Paris. La science se reconnut impuissante. Peu à peu cette femme se lassa d’une tâche qui lui sembla inutile ; sa nature un moment pliée, mais non brisée par tant de remords, se roidit bientôt. Elle mit son mari ici et chercha des distractions. Quant à la pension qu’elle soldait chaque mois pour le pauvre insensé, elle était versée entre ses mains par la société des peintres… Il ne lui devait rien… L’argent du vice n’a pas payé mes soins pour lui.
— Quel est, demandai-je au docteur, ce comte qui l’accompagne ?…
— C’est son amant.
J’eus honte de ma ridicule passion.
— Pourquoi, repris-je, ne permettiez-vous pas qu’elle le vît ?…
Sa présence l’irritait jusqu’à la fureur…
Il ne l’aimait plus alors ?…
— Qui sait… qui peut sonder les replis du cœur humain… Le nom de cette femme qui l’a tué, il le balbutiait encore en mourant…
— Infortuné…
Il était deux heures.
Je me jetai, tout ému de ce récit, sur une causeuse ou je m’assoupis, en rêvant à l’arrangement du feuilleton que venait de me fournir le docteur qui, de son côté, alla gagner son lit.
Le lendemain, le docteur faisait sa tournée quand je m’éveillai.
Avant de retourner chez moi, je parcourus ses journaux.
Dans le compte-rendu de la séance académique de la veille, je lus le passage suivant :
« C’est madame Bergeval, un de nos poètes les plus distingués, déjà couronné plusieurs fois à Marseille et à Toulouse, à qui l’Académie française vient de décerner le premier prix de poésie. Lue par M. le secrétaire perpétuel, la pièce qui a mérité cet honneur se distingue autant par l’énergie de la pensée que par l’élévation et la noblesse des sentiments ; on sent que c’est une âme grande, sensible et généreuse qui a inspiré cet admirable morceau. »
— Monsieur le docteur X** n’est pas là ? dit une voix qui m’arracha par un soubresaut à cette lecture qui m’emplissait de stupeur.
Je levai vivement la tête.
Je vis un homme habillé tout en noir…
C’était le médecin des morts qui venait constater le décès de M. Jacques Bergeval.
FIN.
a été édité par la
bibliothèque numérique romande
en décembre 2017.
— Élaboration :
Ont participé à l’élaboration de ce livre numérique : Lise-Marie, Françoise.
— Sources :
Ce livre numérique est réalisé principalement d’après : Miss Mary ou l’Institutrice par Eugène Sue, tome 3, Bruxelles, Alph. Lebègue, 1851. D’autres éditions ont été consultées en vue de l’établissement du présent texte. La photo de première page, Château des Rotoirs, a été prise par Châteauform le 02.07.2012 (Wikimédia, licence CC Attribution-Share Alike 3.0 Unported).
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