Paul Éluard

POÉSIE ININTERROMPUE

1946, 1953

bibliothèque numérique romande

ebooks-bnr.com

 

 


Table des matières

 

POÉSIE ININTERROMPUE  (1946) 4

LE TRAVAIL DU POÈTE.. 31

I. 31

II. 31

III. 32

IV.. 33

V.. 34

VI. 35

VII. 35

LE TRAVAIL DU PEINTRE.. 37

I. 37

II. 38

III. 38

IV.. 39

V.. 40

VI. 40

VII. 41

À L’ÉCHELLE ANIMALE.. 42

I. 42

II. 43

L’ÂGE DE LA VIE.. 46

I. 46

II. 46

III. 47

IV.. 47

V.. 48

VI. 49

VII. 49

POÉSIE ININTERROMPUE II  (1953) 51

AILLEURS ICI PARTOUT.. 51

BLASON DÉDORÉ DE MES RÊVES. 81

ÉPITAPHES. 87

I. 87

II. 87

III. 89

ABOLIR LES MYSTÈRES. 91

CE NE SONT PAS MAINS DE GÉANTS. 91

LES CONSTRUCTEURS. 92

LE CHÂTEAU DES PAUVRES. 94

Ce livre numérique. 108

 

 

La résistance s’organise sur tous les fronts purs.
Tristan Tzara : L’Antitête, 1933.

POÉSIE ININTERROMPUE

(1946)

Je dédie ces pages à ceux qui les liront mal et à ceux qui ne les aimeront pas.

……

Nue effacée ensommeillée

Choisie sublime solitaire

Profonde oblique matinale

Fraîche nacrée ébouriffée

Ravivée première régnante

Coquette vive passionnée

Orangée rose bleuissante

Jolie mignonne délurée

Naturelle couchée debout

Étreinte ouverte rassemblée

Rayonnante désaccordée

Gueuse rieuse ensorceleuse

Étincelante ressemblante

Sourde secrète souterraine

Aveugle rude désastreuse

Boisée herbeuse ensanglantée

Sauvage obscure balbutiante

Ensoleillée illuminée

Fleurie confuse caressante

Instruite discrète ingénieuse

Fidèle facile étoilée

Charnue opaque palpitante

Inaltérable contractée

Pavée construite vitrifiée

Globale haute populaire

Barrée gardée contradictoire

Égale lourde métallique

Impitoyable impardonnable

Surprise dénouée rompue

Noire humiliée éclaboussée

 

Sommes-nous deux ou suis-je solitaire

 

Comme une femme solitaire

Qui dessine pour parler

Dans le désert

Et pour voir devant elle

 

L’année pourrait être heureuse

Un été en barres

Et l’hiver la neige est un lit bien fait

Quant au printemps on s’en détache

Avec des ailes bien formées

 

Revenue de la mort revenue de la vie

Je passe de juin à décembre

Par un miroir indifférent

Tout au creux de la vue

 

Comme une femme solitaire

Resterai-je ici-bas

Aurai-je un jour réponse à tout

Et réponse à personne

 

Le poids des murs ferme toutes les portes

Le poids des arbres épaissit la forêt

Va sur la pluie vers le ciel vertical

Rouge et semblable au sang qui noircira

 

Le soleil naît sur la tranche d’un fruit

La lune naît au sommet de mes seins

Le soleil fuit sur la rosée

La lune se limite

 

La vérité c’est que j’aimais

Et la vérité c’est que j’aime

De jour en jour l’amour me prend première

Pas de regrets j’ignore tout d’hier

Je ne ferai pas de progrès

 

Sur une autre bouche

Le temps me prendrait première

 

Et l’amour n’a pas le temps

Qui dessine dans le sable

Sous la langue des grands vents

 

Je parle en l’air

À demi-mot

Je me comprends

 

L’aube et la bouche où rit l’azur des nuits

Pour un petit sourire tendre

Mon enfant frais de ce matin

Que personne ne regarde

 

Mon miroir est détaché

De la grappe des miroirs

Une maille détachée

L’amour juste le reprend

 

Rien ne peut déranger l’ordre de la lumière

Où je ne suis que moi-même

Et ce que j’aime

Et sur la table

Ce pot plein d’eau et le pain du repos

Au fil des mains drapées d’eau claire

Au fil du pain fait pour la main friande

De l’eau fraîche et du pain chaud

Sur les deux versants du jour

 

Aujourd’hui lumière unique

Aujourd’hui l’enfance entière

Changeant la vie en lumière

Sans passé sans lendemain

Aujourd’hui rêve de nuit

Au grand jour tout se délivre

Aujourd’hui je suis toujours

Je serai la première et la seule sans cesse

Il n’y a pas de drame il n’y a que mes yeux

Qu’un songe tient ouverts

Ma chair est ma vertu

Elle multiplie mon image

 

Je suis ma mère et mon enfant

En chaque point de l’éternel

Mon teint devient plus clair mon teint devient plus sombre

Je suis mon rayon de soleil

Et je suis mon bonheur nocturne

 

Tous les mots sont d’accord

La boue est caressante

Quand la terre dégèle

Le ciel est souterrain

Quand il montre la mort

Le soir est matinal

Après un jour de peine

 

Mais l’homme

L’homme aux lentes barbaries

L’homme comme un marais

L’homme à l’instinct brouillé

À la chair en exil

L’homme aux clartés de serre

Aux yeux fermés l’homme aux éclairs

L’homme mortel et divisé

Au front saignant d’espoir

L’homme en butte au passé

Et qui toujours regrette

Isolé quotidien

Dénué responsable

 

Savoir vieillir savoir passer le temps

 

Savoir régner savoir durer savoir revivre

Il rejeta ses draps il éclaira la chambre

Il ouvrit les miroirs légers de sa jeunesse

Et les longues allées qui l’avaient reconduit

 

Être un enfant être une plume à sa naissance

Être la source invariable et transparente

Toujours être au cœur blanc une goutte de sang

Une goutte de feu toujours renouvelée

 

Mordre un rire innocent mordre à même la vie

Rien n’a changé candeur rien n’a changé désir

L’hiver j’ai mon soleil il fait fleurir ma neige

Et l’été qui sent bon a toutes les faiblesses

 

L’on m’aimera car j’aime par-dessus tout ordre

Et je suis prêt à tout pour l’avenir de tous

Et je ne connais rien de rien à l’avenir

Mais j’aime pour aimer et je mourrai d’amour

 

Il se mit à genoux pour un premier baiser

La nuit était pareille à la nuit d’autrefois

Et ce fut le départ et la fin du passé

La conscience amère qu’il avait vécu

 

Alors il réveilla les ombres endormies

La cendre grise et froide d’un murmure tu

La cendre de l’aveugle et la stérilité

Le jour sans espérance et la nuit sans sommeil

 

L’égale pauvreté d’une vie limitée

 

Tous les mots se reflètent

Et les larmes aussi

Dans la force perdue

Dans la force rêvée

 

Hier c’est la jeunesse hier c’est la promesse

 

Pour qu’un seul baiser la retienne

Pour que l’entoure le plaisir

Comme un été blanc bleu et blanc

Pour qu’il lui soit règle d’or pur

Pour que sa gorge bouge douce

Sous la chaleur tirant la chair

Vers une caresse infinie

Pour qu’elle soit comme une plaine

Nue et visible de partout

Pour qu’elle soit comme une pluie

Miraculeuse sans nuage

Comme une pluie entre deux feux

Comme une larme entre deux rires

Pour qu’elle soit neige bénie

Sous l’aile tiède d’un oiseau

Lorsque le sang coule plus vite

Dans les veines du vent nouveau

Pour que ses paupières ouvertes

Approfondissent la lumière

Parfum total à son image

Pour que sa bouche et le silence

Intelligibles se comprennent

Pour que ses mains posent leur paume

Sur chaque tête qui s’éveille

Pour que les lignes de ses mains

Se continuent dans d’autres mains

Distances à passer le temps

 

Je fortifierai mon délire

 

De l’océan à la source

De la montagne à la plaine

Court le fantôme de la vie

L’ombre sordide de la mort

Mais entre nous

Une aube naît de chair ardente

Et bien précise

Qui remet la terre en état

Nous avançons d’un pas tranquille

Et la nature nous salue

Le jour incarne nos couleurs

Le feu nos yeux et la mer notre union

Et tous les vivants nous ressemblent

Tous les vivants que nous aimons

 

Les autres sont imaginaires

Faux et cernés de leur néant

Mais il nous faut lutter contre eux

Ils vivent à coups de poignard

Ils parlent comme un meuble craque

Leurs lèvres tremblent de plaisir

À l’écho de cloches de plomb

À la mutité d’un or noir

 

Un cœur seul pas de cœur

Un seul cœur tous les cœurs

Et les corps chaque étoile

Dans un ciel plein d’étoiles

Dans la carrière en mouvement

De la lumière et des regards

Notre poids brillant sur terre

Patine de la volupté

 

À chanter des plages humaines

Pour toi la vivante que j’aime

Et pour tous ceux que nous aimons

Qui n’ont envie que de s’aimer

Je finirai bien par barrer la route

Au flot des rêves imposés

Je finirai bien par me retrouver

Nous prendrons possession du monde

 

Ô rire végétal ouvrant une clairière

De gorges chantonnant interminablement

Mains où le sang s’est effacé

Où l’innocence est volontaire

Gaieté gagnée tendresse du bois mort

Chaleurs d’hiver pulpes séchées

Fraîcheurs d’été sortant des fleurs nouvelles

Constant amour multiplié tout nu

 

Rien à haïr et rien à pardonner

Aucun destin n’illustre notre front

Dans l’orage notre faiblesse

Est l’aiguille la plus sensible

Et la raison de l’orage

Image ô contact parfait

L’espace est notre milieu

Et le temps notre horizon

 

Quelques cailloux sur un sentier battu

De l’herbe comme un souvenir vague

Le ciel couvert et la nuit en avance

Quelques vitrines étrennant leurs lampes

Des trous la porte et la fenêtre ouvertes

Sur des gens qui sont enfermés

Un petit bar vendu et revendu

Apothéose de chiffres

Et de soucis et de mains sales

 

Un désastre profond

Où tout est mesuré même la tristesse

Même la dérision

Même la honte

La plaine est inutile

Le rire est imbécile

Le désert des taches grandit

Mieux que sur un suaire

 

Les yeux ont disparu les oiseaux volent bas

On n’entend plus le bruit des pas

Le silence est comme une boue

Pour les projets sans lendemain

Et soudain un enfant crie

Dans la cage de son ennui

Un enfant remue des cendres

Et rien de vivant ne bouge

 

Je rends compte du réel

Je prends garde à mes paroles

Je ne veux pas me tromper

Je veux savoir d’où je pars

Pour conserver tant d’espoir

Mes origines sont les larmes

Et la fatigue et la douleur

Et le moins de beauté

Et le moins de bonté

 

Le regret d’être au monde et l’amour sans vertu

M’ont enfanté dans la misère

Comme un murmure comme une ombre

Ils mourront ils sont morts

Mais ils vivront glorieux

Sable dans le cristal

Nourricier malgré lui

Plus clair qu’en plein soleil

 

Le regret d’être au monde

 

Je n’ai pas de regrets

Plus noir plus lourd est mon passé

Plus léger et limpide est l’enfant que j’étais

L’enfant que je serai

Et la femme que je protège

La femme dont j’assume

L’éternelle confiance

 

Comme une femme solitaire

Qui dessine pour parler

Dans le désert

Et pour voir devant elle

Par charmes et caprices

Par promesses par abandons

 

Entr’ouverte à la vie

Toujours soulignée de bleu

 

Comme une femme solitaire

À force d’être l’une ou l’autre

Et tous les éléments

 

Je saurai dessiner comme mes mains épousent

La forme de mon corps

Je saurai dessiner comme le jour pénètre

Au fin fond de mes yeux

 

Et ma chaleur fera s’étendre les couleurs

Sur le lit de mes nuits

Sur la nature nue où je tiens une place

Plus grande que mes songes

 

Où je suis seule et nue où je suis l’absolu

L’être définitif

La première femme apparue

Le premier homme rencontré

Sortant du jeu qui les mêlait

Comme doigts d’une même main

 

La première femme étrangère

Et le premier homme inconnu

La première douleur exquise

Et le premier plaisir panique

 

Et la première différence

Entre des êtres fraternels

Et la première ressemblance

Entre des êtres différents

 

Le premier champ de neige vierge

Pour un enfant né en été

Le premier lait entre les lèvres

D’un fils de chair de sang secret

 

Buisson de roses et d’épines

Route de terre et de cailloux

À ciel ardent ciel consumé

À froid intense tête claire

 

Rocher de fardeaux et d’épaules

Lac de reflets et de poissons

À jour mauvais bonté remise

À mer immense voile lourde

 

Et j’écris pour marquer les années et les jours

Les heures et les hommes leur durée

Et les parties d’un corps commun

Qui a son matin

Et son midi et son minuit

Et de nouveau son matin

Inévitable et paré

De force et de faiblesse

De beauté de laideur

De repos agréable et de misérable lumière

Et de gloire provoquée

 

D’un matin sorti d’un rêve le pouvoir

De mener à bien la vie

Les matins passés les matins futurs

Et d’organiser le désastre

Et de séparer la cendre du feu

 

D’une maison les lumières naturelles

Et les ponts jetés sur l’aube

D’un matin la chair nouvelle

La chair intacte pétrie d’espoir

Dans la maison comme un glaçon qui fond

 

Du bonheur la vue sans pitié

Les yeux bien plantés sur leurs jambes

Dans la fumée de la santé

Du bonheur comme une règle

Comme un couteau impitoyable

Tranchant de tout

Sauf de la nécessité

 

D’une famille le cœur clos

Gravé d’un nom insignifiant

 

D’un rire la vertu comme un jeu sans perdants

Montagne et plaine

Calculées en tout point

Un cadeau contre un cadeau

Béatitudes s’annulant

 

D’un brasier les cloches d’or aux paupières lentes

Sur un paysage sans fin

Volière peinte dans l’azur

Et d’un sein supposé le poids sans réserves

Et d’un ventre accueillant la pensée sans raison

Et d’un brasier les cloches d’or aux yeux profonds

Dans un visage grave et pur

 

D’une volière peinte en bleu

Où les oiseaux sont des épis

Jetant leur or aux pauvres

Pour plus vite entrer dans le noir

Dans le silence hivernal

 

D’une rue

D’une rue ma défiguration

Au profit de tous et de toutes

Les inconnus dans la poussière

Ma solitude mon absence

 

D’une rue sans suite

Et sans saluts

Vitale

Et pourtant épuisante

La rencontre niée

 

De la fatigue le brouillard

Prolonge loques et misères

À l’intérieur de la poitrine

Et le vide aux tempes éteintes

Et le crépuscule aux artères

 

Du bonheur la vue chimérique

Comme au bord d’un abîme

Quand une grosse bulle blanche

Vous crève dans la tête

Et que le cœur est inutilement libre

 

Mais du bonheur promis et qui commence à deux

La première parole

Est déjà un refrain confiant

Contre la peur contre la faim

Un signe de ralliement

 

D’une main composée pour moi

Et qu’elle soit faible qu’importe

Cette main double la mienne

Pour tout lier tout délivrer

Pour m’endormir pour m’éveiller

 

D’un baiser la nuit des grands rapports humains

Un corps auprès d’un autre corps

La nuit des grands rapports terrestres

La nuit native de ta bouche

La nuit où rien ne se sépare

 

Que ma parole pèse sur la nuit qui passe

Et que s’ouvre toujours la porte par laquelle

Tu es entrée dans ce poème

Porte de ton sourire et porte de ton corps

 

Par toi je vais de la lumière à la lumière

De la chaleur à la chaleur

C’est par toi que je parle et tu restes au centre

De tout comme un soleil consentant au bonheur

 

Mais il nous faut encore un peu

Accorder nos yeux clairs à ces nuits inhumaines

Des hommes qui n’ont pas trouvé la vie sur terre

Il nous faut qualifier leur sort pour les sauver

 

Nous partirons d’en bas nous partirons d’en haut

De la tête trop grosse et de la tête infime

En haut un rien de tête en bas l’enflure ignoble

En haut rien que du front en bas rien que menton

Rien que prison collant aux os

Rien que chair vague et que poisons gobés

Par la beauté par la laideur sans répugnance

Toujours un œil aveugle une langue muette

Une main inutile un cœur sans résonance

Près d’une langue experte et qui voit loin

Près d’un œil éloquent près d’une main prodigue

Trop près d’un cœur qui fait la loi

 

La loi la feuille morte et la voile tombée

La loi la lampe éteinte et le plaisir gâché

La nourriture sacrifiée l’amour absurde

La neige sale et l’aile inerte et la vieillesse

 

Sur les champs un ciel étroit

Soc du néant sur les tombes

 

Au tournant les chiens hurlant

Vers une carcasse folle

 

Au tournant l’eau est crépue

Et les champs claquent des dents

 

Et les chiens sont des torchons

Léchant des vitres brisées

 

Sur les champs la puanteur

Roule noire et bien musclée

 

Sur le ciel tout ébréché

Les étoiles sont moisies

 

Allez donc penser à l’homme

Allez donc faire un enfant

 

Allez donc pleurer ou rire

Dans ce monde de buvard

 

Prendre forme dans l’informe

Prendre empreinte dans le flou

 

Prendre sens dans l’insensé

Dans ce monde sans espoir

 

Si nous montions d’un degré

 

Le jour coule comme un œuf

Le vent fané s’effiloche

 

Toute victoire est semblable

Des ennemis des amis

 

Ennemis amis pâlots

Que même le repos blesse

 

Et de leurs drapeaux passés

Ils enveloppent leurs crampes

 

Beaux oiseaux évaporés

Ils rêvent de leurs pensées

 

Ils se tissent des chapeaux

Cent fois plus grands que leur tête

 

Ils méditent leur absence

Et se cachent dans leur ombre

 

Ils ont été au présent

Ceci entre parenthèses

 

Ils croient qu’ils ont été des diables des lionceaux

Des chasseurs vigoureux des nègres transparents

Des intrus sans vergogne et des rustres impurs

Des monstres opalins et des zèbres pas mal

 

Des anonymes redoutables

Des calembours et des charades

 

Et la ligne de flottaison

Sur le fleuve héraclitéen

 

Et l’hospitalité amère

Dans un asile carnassier

 

Et le déshonneur familial

Et le point sec des abreuvoirs

 

Ils croient ils croient mais entre nous

Il vaut encore mieux qu’ils croient

 

Si nous montions d’un degré

 

C’est la santé l’élégance

En dessous roses et noirs

 

Rousseurs chaudes blancheurs sobres

Rien de gros rien de brumeux

 

Les coquilles dans la nuit

D’un piano sans fondations

 

Les voitures confortables

Aux roues comme des guirlandes

 

C’est le luxe des bagages

Blasés jetés à la mer

 

Et l’aisance du langage

Digéré comme un clou par un mur

 

Les idées à la rigolade

Les désirs à l’office

 

Une poule un vin la merde

Réchauffés entretenus

 

Si nous montions d’un degré

Dans ce monde sans images

 

Vers la plainte d’un berger

Qui est seul et qui a froid

 

Vers une main généreuse

Qui se tend et que l’on souille

 

Vers un aveugle humilié

De se cogner aux fenêtres

 

Vers l’excuse désolée

D’un malheureux sans excuses

 

Vers le bavardage bête

Des victimes consolées

 

Semaines dimanches lâches

Qui s’épanchent dans le vide

 

Durs travaux loisirs gâchés

Peaux grises résorbant l’homme

 

Moralité de fourmi

Sous les pieds d’un plus petit

 

Si nous montions d’un degré

 

La misère s’éternise

La cruauté s’assouvit

 

Les guerres s’immobilisent

Sur les glaciers opulents

 

Entre les armes en broussailles

Sèchent la viande et le sang

 

De quoi calmer les âmes amoureuses

De quoi varier le cours des rêveries

 

De quoi provoquer l’oubli

Aussi de quoi changer la loi

 

La loi la raison pratique

 

Et que comprendre juge

L’erreur selon l’erreur

 

Si voir était la foudre

Au pays des charognes

 

Le juge serait dieu

Il n’y a pas de dieu

 

Si nous montions d’un degré

 

Vers l’extase sans racines

Toute bleue j’en suis payé

 

Aussi bien que de cantiques

Et de marches militaires

 

Et de mots définitifs

Et de bravos entraînants

 

Et la secousse idéale

De la vanité sauvage

 

Et le bruit insupportable

Des objecteurs adaptés

 

Le golfe d’une serrure

Abrite trop de calculs

 

Et je tremble comme un arbre

Au passage des saisons

 

Ma sève n’est qu’une excuse

Mon sang n’est qu’une raison

 

Si nous montions d’un degré

 

Mes vieux amis mon vieux Paul

Il faut avouer

 

Tout avouer et pas seulement le désespoir

Vice des faibles sans sommeil

 

Et pas seulement nos rêves

Vertu des forts anéantis

 

Mais le reflet brouillé la vilaine blessure

Du voyant dénaturé

 

Vous acceptez j’accepte d’être infirme

La même sueur baigne notre suicide

 

Mes vieux amis

 

Vieux innocents et vieux coupables

Dressés contre la solitude

 

Où s’allume notre folie

Où s’accuse notre impatience

 

Nous ne sommes seuls qu’ensemble

Nos amours se contredisent

 

Nous exigeons tout de rien

L’exception devient banale

 

Mais notre douleur aussi

Et notre déchéance

 

Nous nous réveillons impurs

Nous nous révélons obscurs

 

Brutes mentales du chaos

Vapeurs uniques de l’abîme

 

Dans la basse région lyrique

Où nous nous sommes réunis

 

Mes vieux amis pour être séparés

Pour être plus nombreux

 

Si nous montions d’un degré

 

Sur des filles couronnées

Une épave prend le large

 

À l’orient de mon destin

Aurai-je un frère demain

 

Sur des ruines virginales

Aux ailes de papillon

 

Friandises de l’hiver

Quand la mère joue la morte

 

Sans passion et sans dégoût

Une ruche couve lourde

Dans une poche gluante

 

Paume attachée à son bien

Comme la cruche à son eau

Et le printemps aux bourgeons

 

Fer épousé par la forge

Or maté en chambre forte

 

Nue inverse rocher souple

D’où rebondit la cascade

 

Simulacre du sein

Livré aux égoïstes

 

Mais aussi le sein offert

De l’image reconquise

 

Plaisir complet plaisir austère

Pommier noir aux pommes mûres

 

Belle belle rôde et jouit

Fluorescente dentelle

 

Où l’éclair est une aiguille

La pluie le fil

 

L’aile gauche du cœur

Se replie sur le cœur

 

Je vois brûler l’eau pure et l’herbe du matin

Je vais de fleur en fleur sur un corps auroral

Midi qui dort je veux l’entourer de clameurs

L’honorer dans son jour de senteurs de lueurs

 

Je ne me méfie plus je suis un fils de femme

La vacance de l’homme et le temps bonifié

La réplique grandiloquente

Des étoiles minuscules

 

Et nous montons

 

Les derniers arguments du néant sont vaincus

Et le dernier bourdonnement

Des pas revenant sur eux-mêmes

 

Peu à peu se décomposent

Les alphabets ânonnés

De l’histoire et des morales

Et la syntaxe soumise

Des souvenirs enseignés

 

Et c’est très vite

La liberté conquise

La liberté feuille de mai

Chauffée à blanc

Et le feu aux nuages

Et le feu aux oiseaux

Et le feu dans les caves

Et les hommes dehors

Et les hommes partout

Tenant toute la place

Abattant les murailles

Se partageant le pain

Dévêtant le soleil

S’embrassant sur le front

Habillant les orages

Et s’embrassant les mains

Faisant fleurir charnel

Et le temps et l’espace

 

Faisant chanter les verrous

Et respirer les poitrines

 

Les prunelles s’écarquillent

Les cachettes se dévoilent

 

La pauvreté rit aux larmes

De ses chagrins ridicules

Et minuit mûrit des fruits

Et midi mûrit des lunes

 

Tout se vide et se remplit

Au rythme de l’infini

Et disons la vérité

La jeunesse est un trésor

La vieillesse est un trésor

L’océan est un trésor

Et la terre est une mine

L’hiver est une fourrure

L’été une boisson fraîche

Et l’automne un lait d’accueil

 

Quant au printemps c’est l’aube

Et la bouche c’est l’aube

Et les yeux immortels

Ont la forme de tout

 

Nous deux toi toute nue

Moi tel que j’ai vécu

Toi la source du sang

Et moi les mains ouvertes

Comme des yeux

 

Nous deux nous ne vivons que pour être fidèles

À la vie

……

LE TRAVAIL DU POÈTE

à Guillevic.

I
 

Les belles manières d’être avec les autres

Sur l’herbe pelée en été

Sous des nuages blancs

 

Les belles manières d’être avec les femmes

Dans une maison grise et chaude

Sous un drap transparent

 

Les belles manières d’être avec soi-même

Devant la feuille blanche

 

Sous la menace d’impuissance

Entre deux temps et deux espaces

 

Entre l’ennui et la manie de vivre

 

II
 

Qu’êtes-vous venu prendre

Dans la chambre familière

 

Un livre qu’on n’ouvre jamais

 

Qu’êtes-vous venu dire

À la femme indiscrète

 

Ce qu’on ne peut pas répéter

 

Qu’êtes-vous venu voir

Dans ce lieu bien en vue

 

Ce que voient les aveugles

 

III
 

La route est courte

On arrive bien vite

Aux pierres de couleur

Puis

À la pierre vide

 

On arrive bien vite

Aux mots égaux

Aux mots sans poids

Puis

Aux mots sans suite

 

Parler sans avoir rien à dire

On a dépassé l’aube

Et ce n’est pas le jour

Et ce n’est pas la nuit

Rien c’est l’écho d’un pas sans fin

 

IV
 

Une année un jour lointains

Une promenade le cœur battant

Le paysage prolongeait

Nos paroles et nos gestes

L’allée s’en allait de nous

Les arbres nous grandissaient

Et nous calmions les rochers

 

C’est bien là que nous fûmes

Réglant toute chaleur

Toute clarté utile

C’est là que nous chantâmes

Le monde était intime

C’est là que nous aimâmes

 

Une foule nous précéda

 

Une foule nous suivit

Nous parcourut en chantant

Comme toujours quand le temps

Ne compte plus ni les hommes

Et que le cœur se repent

Et que le cœur se libère

 

V
 

Il y a plus longtemps encore

J’ai été seul

Et j’en frémis encore

 

Ô solitude simple

Ô négatrice du hasard charmant

J’avoue t’avoir connue

 

J’avoue avoir été abandonné

Et j’avoue même

Avoir abandonné ceux que j’aimais

 

Au cours des années tout s’est ordonné

Comme un ensemble de lueurs

Sur un fleuve de lumière

Comme les voiles des vaisseaux

Dans le beau temps protecteur

 

Comme les flammes dans le feu

Pour établir la chaleur

 

Au cours des années je t’ai retrouvée

Ô présence indéfinie

Volume espace de l’amour

 

Multiplié

 

VI
 

Je suis le jumeau des êtres que j’aime

Leur double en nature la meilleure preuve

De leur vérité je sauve la face

De ceux que j’ai choisis pour me justifier

 

Ils sont très nombreux ils sont innombrables

Ils vont par les rues pour eux et pour moi

Ils portent mon nom je porte le leur

Nous sommes les fruits semblables d’un arbre

 

Plus grand que nature et que toutes les preuves

 

VII
 

Je sais parce que je le dis

Que mes désirs ont raison

Je ne veux pas que nous passions

À la boue

Je veux que le soleil agisse

Sur nos douleurs qu’il nous anime

Vertigineusement

Je veux que nos mains et nos yeux

Reviennent de l’horreur ouvertes pures

 

Je sais parce que je le dis

Que ma colère a raison

Le ciel a été foulé la chair de l’homme

A été mise en pièces

Glacée soumise dispersée

 

Je veux qu’on lui rende justice

Une justice sans pitié

Et que l’on frappe en plein visage les bourreaux

Les maîtres sans racines parmi nous

 

Je sais parce que je le dis

Que mon désespoir a tort

Il y a partout des ventres tendres

Pour inventer des hommes

Pareils à moi

Mon orgueil n’a pas tort

Le monde ancien ne peut me toucher je suis libre

Je ne suis pas un fils de roi je suis un homme

Debout qu’on a voulu abattre

LE TRAVAIL DU PEINTRE

à Picasso.

I
 

Entoure ce citron de blanc d’œuf informe

Enrobe ce blanc d’œuf d’un azur souple et fin

La ligne droite et noire a beau venir de toi

L’aube est derrière ton tableau

 

Et des murs innombrables croulent

Derrière ton tableau et toi l’œil fixe

Comme un aveugle comme un fou

Tu dresses une haute épée vers le vide

 

Une main pourquoi pas une seconde main

Et pourquoi pas la bouche nue comme une plume

Pourquoi pas un sourire et pourquoi pas des larmes

Tout au bord de la toile où jouent les petits clous

 

Voici le jour d’autrui laisse aux ombres leur chance

Et d’un seul mouvement des paupières renonce

 

II
 

Tu dressais une haute épée

Comme un drapeau au vent contraire

Tu dressais ton regard contre l’ombre et le vent

Des ténèbres confondantes

 

Tu n’as pas voulu partager

Il n’y a rien à attendre de rien

La pierre ne tombera pas sur toi

Ni l’éloge complaisant

 

Dur contempteur avance en renonçant

Le plaisir naît au sein de ton refus

L’art pourrait être une grimace

Tu le réduis à n’être qu’une porte

 

Ouverte par laquelle entre la vie

 

III
 

Et l’image conventionnelle du raisin

Posé sur le tapis l’image

Conventionnelle de l’épée

Dressée vers le vide point d’exclamation

Point de stupeur et d’hébétude

Qui donc pourra me la reprocher

 

Qui donc pourra te reprocher la pose

Immémoriale de tout homme en proie à l’ombre

Les autres sont de l’ombre mais les autres portent

Un fardeau aussi lourd que le tien

Tu es une des branches de l’étoile d’ombre

Qui détermine la lumière

 

Ils ne nous font pas rire ceux qui parlent d’ombre

Dans les souterrains de la mort

Ceux qui croient au désastre et qui charment leur mort

De mille et une vanités sans une épine

Nous nous portons notre sac de charbon

À l’incendie qui nous confond

 

IV
 

Tout commence par des images

Disaient les fous frères de rien

Moi je relie par des images

Toutes les aubes au grand jour

 

J’ai la meilleure conscience

De nos désirs ils sont gentils

Doux et violents comme des faux

Dans l’herbe tendre et rougissante

 

Aujourd’hui nous voulons manger

Ensemble ou bien jouer et rire

Aujourd’hui je voudrais aller

En U.R.S.S. ou bien me reposer

 

Avec mon cœur à l’épousée

Avec le pouvoir de bien faire

Et l’espoir fort comme une gerbe

De mains liées sur un baiser

 

V
 

Picasso mon ami dément

Mon ami sage hors frontières

Il n’y a rien sur notre terre

Qui ne soit plus pur que ton nom

 

J’aime à le dire j’aime à dire

Que tous tes gestes sont signés

Car à partir de là les hommes

Sont justifiés à leur grandeur

 

Et leur grandeur est différente

Et leur grandeur est tout égale

Elle se tient sur le pavé

Elle se tient sur leurs désirs

 

VI
 

Toujours c’est une affaire d’algues

De chevelures de terrains

Une affaire d’amis sincères

Avec des fièvres de fruits mûrs

 

De morts anciennes de fleurs jeunes

Dans des bouquets incorruptibles

Et la vie donne tout son cœur

Et la mort donne son secret

 

Une affaire d’amis sincères

À travers les âges parents

La création quotidienne

Dans le bonjour indifférent

 

VII
 

Rideau il n’y a pas de rideau

Mais quelques marches à monter

Quelques marches à construire

Sans fatigue et sans soucis

Le travail deviendra un plaisir

Nous n’en avons jamais douté nous savons bien

Que la souffrance est en surcharge et nous voulons

Des textes neufs des toiles vierges après l’amour

 

Des yeux comme des enclumes

La vue comme l’horizon

Des mains au seuil de connaître

Comme biscuits dans du vin

 

Et le seul but d’être premier partout

Jour partagé caresse sans degré

Cher camarade à toi d’être premier

Dernier au monde en un monde premier.

À L’ÉCHELLE ANIMALE

I

Cette petite tache de lumière dans la campagne

Ce feu du soir est un serpent à la tête froide

La tache de la bête dans un paysage humain

Où tous les animaux sont les mouvements

De la terre bien réelle

Du soleil maigre et pâle

Du soleil gros et rouge

Et de la lune sans passé

Et de la lune à souvenirs

 

Cette petite tache de lumière cette fenêtre

Éclaire les épaules adorables d’un ours

Et d’un loup de Paris vieux de mille ans

Et d’un furieux sanglier d’aujourd’hui

Et d’un lièvre qui fuit comme un innocent

 

La forêt voilà la forêt

Malgré la nuit je la vois

Je la touche je la connais

Je fais la chasse à la forêt

Elle s’éclaire d’elle-même

Par ses frissons et par ses voix

 

Chaque arbre d’ombre et de reflets

Est un miroir pour les oiseaux

Et la rivière la rivière

Dont les poissons sont les bergers

Quelle rivière bien dressée

 

Voir clair dans l’œil droit des hiboux

Voir clair dans les gouttes de houx

Dans le terrier fourré d’obscurité fondante

Voir clair dans la main des taupes

Dans l’aile étendue très haut

Dans le gui des philosophes

Dans le tout cela des savants

Monde connu et naturel

 

Voir clair et se reconnaître

Sur la prairie bleue et verte

Où vont chevaux et perdreaux

Sur la plaine blanche et noire

Où vont corbeaux et renards

Voir clair dans le chant des crapauds

Dans le désordre des insectes

Dans les astres de la rosée

Dans les astres des œufs couvés

Dans la chaleur réglée et pure

Dans le vent dur du vieil hiver

Dans un monde mort et vivant

 

II
 

Le poids d’un chien sortant de l’eau

Comme un sourire ému d’une brouille d’amis

Miroirs brisés miroirs entiers

 

Le poids toujours nouveau

D’une chatte duvet

Les griffes sous la mousse

 

Et le poids flamboyant

D’une chatte écorchée

Par un fourreau d’aiguilles

 

Le poids du jour qui réfléchit

Et qui s’arrête comme un âne

À chaque pas

 

Et je ramasse avec lui

Les miettes de son effort

Sempiternel

 

D’où sommes-nous sinon d’ici

Et d’ailleurs toujours en butte

À ce compte monotone

D’armées et de solitaires

 

Bain d’abeilles paravent

De la poussière immuable

Balance des hirondelles

Dans une poitrine vide

 

Âne chèvre jusqu’à l’herbe

Rat de la poupe à la proue

Rossignol jusqu’au déluge

Jusqu’aux étoiles éteintes

 

Sont pesants les rongeurs

Pesants comme une horloge

Et les poissons pêchés

Et l’hermine par sa blancheur

Et le lièvre par son repos

 

Je suis avec toutes les bêtes

Pour m’oublier parmi les hommes

L’ÂGE DE LA VIE

à René Char.

I
 

Matin d’hiver matin d’été

Lèvres fermées et roses mûres

 

Déchirante étendue où la vue nous entraîne

Où la mer est en fuite où la plage est entière

 

Soir d’été ramassé dans la voix du tonnerre

La plaine brûle et meurt et renaît dans la nuit

 

Soir d’hiver aspiré par la glace implacable

La forêt nue est inondée de feuilles mortes

 

Balance des saisons insensible et vivante

Balance des saisons équilibrée par l’âge

 

II
 

Nous avons eu huit ans nous avons eu quinze ans

Et nous avons vieilli noirci l’aube et la vie

 

Les hommes et les femmes que nous n’aimions pas

Nous n’y pensions jamais ils ne faisaient pas d’ombre

 

Mais nous avons vieilli le gouffre s’est peuplé

Nous avons reproduit un avenir d’adultes

 

III
 

Pourtant ce tout petit miroir

Pour y voir en riant les deux yeux œil par œil

Et le nez sans rien d’autre

Et le bout de l’oreille et le temps de bouder

Ce miroir sans limites

Où nous ne faisions qu’un avec notre univers

 

Ce tout petit miroir où jouaient avec nous

Une par une mille filles

Mille promesses définies

 

IV
 

De la douce et de l’extrême

Nous confondions les couleurs

 

Toutes étaient inutiles

Et nous à quoi servions-nous

 

Tous et toutes grains de sable

Impalpables dans le vent

 

Tous et toutes étincelles

Sous une ombrelle de feu

 

Sommes-nous hommes et femmes

De ces enfants que nous fûmes

 

Le vent s’est désorienté

La lumière s’est brouillée

 

Un rien nous tient immobiles

Réfléchissant dans le noir

 

V
 

Les jouets et les jeux sont changés en outils

En travaux en objets capitaux en soucis

 

Il nous faut nous cacher pour simuler l’enfance

Il nous est interdit de rire sans raison

 

Sur la courbe du jour le soleil de la mort

Tisse un épais vitrail de beautés bien vêtues

Nous n’avons que deux mains nous n’avons qu’une tête

Car nous avons appris à compter à réduire

 

Nuages de santé brumes de jouissance

À mi-chemin de tout murmure du plaisir

Le printemps diminue l’hiver est supportable

Combien de nuits encore à rêver d’innocence

 

VI
 

D’innocence et de force sur les tremplins

De l’espoir et de la confiance

 

De force et de faiblesse mon ami massif

Violent et subtil

Juste et vivant depuis longtemps

 

Depuis aussi longtemps que moi

Puisque nous avons été jeunes

En des saisons si différentes

 

Mais jeunes comme on ne l’est pas

À chercher sur tous les chemins

Les traces de notre durée

 

Nous n’aurons pas toujours cent ans

 

L’espoir un jour ira comme la foudre

Fera lever les moissons abattues

Et rayonner le plomb de nos désastres

 

La vieillesse est déjà d’hier

 

VII
 

En dépit des pierres

À figure d’homme

Nous rirons encore

 

En dépit des cœurs

Noués et mortels

Nous vivons d’espoir

 

Rien ne nous réduit

À dormir sans rêves

À supporter l’ombre

 

Il n’y a sur l’heure

Doute ni soupçon

D’une heure semblable

 

À jamais sur terre

Tout remue et chante

Change et prend plaisir

POÉSIE ININTERROMPUE
II

(1953)

AILLEURS ICI PARTOUT

… Il y a quelque adresse à avoir mis mes idées dans la bouche d’un homme qui rêve : il faut souvent donner à la sagesse l’air de la folie, afin de lui procurer ses entrées ; j’aime mieux qu’on dise : « Mais cela n’est pas si insensé qu’on croirait bien », que de dire : « Écoutez-moi, voici des choses très-sages. »

Diderot, Lettres à Sophie Volland.

 

Là se dressent les mille murs

De nos maisons vieillissant bien

Et mères de mille maisons

Là dorment des vagues de tuiles

Renouvelées par le soleil

Et portant l’ombre des oiseaux

Comme l’eau porte les poissons

 

Là tous les travaux sont faciles

Et l’objet caresse la main

La main ne connaît que promesses

La vie éveille tous les yeux

Le corps a des fièvres heureuses

Nommées la Perle de midi

Ou la Rumeur de la lumière

 

Là je vois de près et de loin

Là je m’élance dans l’espace

Le jour la nuit sont mes tremplins

Là je reviens au monde entier

Pour rebondir vers chaque chose

Vers chaque instant et vers toujours

Et je retrouve mes semblables

 

Je parle d’un temps délivré

Des fossoyeurs de la raison

Je parle de la liberté

Qui finira par nous convaincre

Nul n’aura peur du lendemain

L’espoir ne fait pas de poussière

Rien ne sera jamais en vain

 

Je cherche à me créer une épreuve plus dure

Qu’imaginer ce monde tel qu’il pourrait être

Je voudrais m’assurer du concret dans le temps

Partir d’ici et de partout pour tout ailleurs

 

Ouvrir vraiment à l’homme une porte plus grande

 

Il faut reprendre le langage en son milieu

Équilibrer l’écho la question la réponse

Et que l’image transparente se reflète

En un point confluent cœur du panorama

 

Cœur du sang et du sens et de la conscience

 

Voici ma table et mon papier je pars d’ici

Et je suis d’un seul bond dans la foule des hommes

Mes mots sont fraternels mais je les veux mêlés

Aux éléments à l’origine au souffle pur

 

Je veux sentir monter l’épi de l’univers

 

J’ai le sublime instinct de la pluie et du feu

J’ensemence la terre et rends à la lumière

Le lait de ses années fertiles en miracles

Et je dévore et je nourris l’éclat du ciel

 

Et je ne crains que l’ombre atroce du silence

 

Je prononce la pierre et l’herbe y fait son nid

Et la vie s’y reflète excessive et mobile

Le duvet d’un aiglon mousse sur du granit

Une faible liane mange un mur de pierres

 

Le chant d’un rossignol amenuise la nuit

 

Prise d’en haut d’en bas dans ma voix fléchissante

La forêt s’agglutine ou se met en vacances

Ravines et marais dans ma voix renaissante

S’allègent comme un corps qui se dévêt et chante

 

Mers et plaines déserts le jour naît sur la terre

 

Victorieux enjeu des couleurs des saveurs

La fleur est le ferment de ma langue bavarde

Le temps ne passe pas quand le bruit étincelle

Et refait chaque aurore en nommant une fleur

 

Ce monde je le veux éprouver sur mon cœur

 

Dans chaque cœur battant j’en entendrai l’écho

Un pas après un pas la route est infinie

L’animal a conduit ses gestes vers leur but

Et je me suis déduit de leur nécessité

 

Son sommeil a bordé le lit où je repose

 

De mort je ne sais rien sauf qu’elle est éphémère

Et je veux chaque soir coucher avec la vie

Et je veux chaque mort coucher avec la vie

L’hiver l’oubli n’annoncent que l’avenir vert

 

Je ne me suis jamais vu mort les hommes vivent

 

Je parle et l’on me parle et je connais l’espace

Et le temps qui sépare et qui joint toutes choses

Et je confonds les yeux et je confonds les roses

Je vois d’un seul tenant ce qui dure ou s’efface

 

La présence a pour moi les traits de ce que j’aime

 

C’est là tout mon secret ce que j’aime vivra

Ce que j’aime a toujours vécu dans l’unité

Les dangers et les deuils l’obscurité latente

N’ont jamais pu fausser mon désir enfantin

 

De tous les points de l’horizon j’aime qui m’aime

 

Je ne vois clair et je ne suis intelligible

Que si l’amour m’apporte le pollen d’autrui

Je m’enivre au soleil de la présence humaine

Je m’anime marée de tous ses éléments

 

Je suis créé je crée c’est le seul équilibre

C’est la seule justice

 

Entre chez moi toi ma santé

Entre chez moi toi ma passion de vivre

Ne doute plus de rien sois gaie

Car je veux te donner plus de raisons de rire

Que de pleurer entre chez moi ma bien-aimante

Viens m’éclairer

 

Entre chez moi toi mon tourment

Pour oublier notre chagrin

Entre chez moi vorace et rassasiée

Grain de raisin trop vert ou éclaté

Viens mon audace au large des orages

Viens amasser notre avenir

 

Vois-tu je dis chez moi et c’est déjà pour rire

Ce n’est qu’en moi que je veux dire

Ma force t’y reçoit ton image y prend corps

Je t’offre un toit je t’offre un lit plus grand que toi

J’y suis déjà couché dans la plaine et les bois

Et c’est le flot montant de la mer qui t’envoie

 

Entre en moi toi ma multitude

Puisque je suis à jamais ton miroir

Ma figurée

Les rues vont loin qui passent par nos villes

Loin dans les champs où l’on avance

Avec l’amour avec la vie avec le jour

 

Entre en moi toi toujours meilleure

Toujours semblable à mes désirs

Illimitée et torturée et rassurée

Toutes voiles tombées toutes voiles dehors

Creusée de nuit et de lumière

Et captant le silence et drainant la rumeur

 

Toi qui voulais une maison

Tu t’en délivres

Car la maison que je te donne

N’a sa façade ouverte qu’en exemple à tous

Notre maison n’est bonne que pour en sortir

Nous rêvons d’une autre maison au fond des âges

 

Captifs d’un seul moment un moment nous délivre

Le temps des amoureux qui passeront le pont

Que nous avons passé avant de nous connaître

Les flots de l’avenir les séparent encore

Mais leur lèvre a la courbe d’un seul mot je t’aime

Leurs mains sont la promesse d’une main doublée

 

Entre en moi toi ma paresseuse ma berceuse

Je n’ai pas de secrets pour toi

Avec toi je n’ignore rien

Tu es faite pour tout savoir

Je te dis tout au tableau noir

De mon passé de ma jeunesse

 

Car tout n’a pas été si facile ni gai

 

Hier il y a très longtemps

Je suis né sans sortir des chaînes

Je suis né comme une défaite

 

Hier il n’y a pas longtemps

Je suis né dans les bras tremblants

D’une famille pauvre et tendre

Où l’on ne gagnait rien à naître

 

On parlait bas comprenait sourd

Ma famille est née de l’oubli

D’un peuple d’ombres sans reflets

 

Chaque jour les miens me fêtaient

Mais je n’étais à la mesure

Ni de moi-même ni des grands

Je n’avais pour but que l’enfance

 

Dans les méandres de ma chambre

Fermée aux jeux de l’impatience

Je ne rêvais que de fenêtres

 

Et je riais et je criais

À faire fondre le soleil

Mais je pleurais à faire rire

De mon chagrin la terre entière

 

Et puis l’injure me fut faite

Je fus d’un seul coup déréglé

Les monstres prenaient pied sur moi

 

L’or sonnait mat et frappait lourd

On pêchait dans l’eau d’un diamant

De sales de lugubres bêtes

On assassinait les poètes

 

J’avais vingt ans et je faisais

Déjà la guerre pour nos maîtres

Ils avaient besoin de jeunesse

 

Je fus naïf au point de ne pas me défendre

Je recevais les coups sans songer à les rendre

J’étais fait comme tous de matière sensible

Les flammes me semblaient avoir l’azur pour cible

 

Dans ma candeur aux femmes je me déchirais

Aux fleurs je me fanais aux fruits je me gâtais

L’ordre de la nature embaumait mon supplice

Mais j’avais par à-coups de terribles colères

 

Et je voulais avoir des griffes pour en jouir

Contre les hommes et les femmes à genoux

Contre les hommes et les femmes en mal d’être

Contre l’enfant trop clair et contre ses désirs

 

D’astre en astre ma violence

A fait justice des vertus

Qui pourrissaient dans l’égoïsme

Ma tête s’est révélée nue

Je ne savais pas simuler

Ni figurer une statue

Qui ne soit pas dans tout l’espace

 

La verdure au gré de la mer

Et des forêts et de l’aurore

Au gré des vagues et des feuilles

Et de la minime lueur

Qui pénètre dans chaque cœur

Pour le confondre et l’augmenter

Dissipe la nuit et l’hiver

 

Et d’évidence en évidence

Je parle en témoin éclairé

Et la trame me paraît douce

De ce que je couvre de vie

Le mal est vain et la mort vide

Douter est une comédie

Que l’on se joue pour mieux sauter

 

Et mon regard pourtant connaît la parenté

Et le monde déduit de ce qu’il fut toujours

Il prend feu sans détruire il a tous les mérites

Il entraîne la femme au-delà de son rythme

Il entraîne l’enfant au-delà du vieillard

En route les cailloux effeuillés sont les pierres

De la ville amassée où chacun a son frère

 

J’entends ce soir j’entends encore dans ma fièvre

Un cri réel d’enfant robuste et bienheureux

Une plainte de femme exquise et souveraine

Un appel d’homme au fond de la vérité même

Et je répète un rêve qui me vient de loin

Voir clair et parler clair régner dans l’éternel

Moi qui n’ai jamais pu m’assombrir qu’un instant

 

Je sais que si je dis le bien je veux le bien

Sur l’heure et pour toujours je dis je veux le miel

Et l’ondulation du miel comme des blés

Se propage à mon souffle et ses rides ardentes

M’accordent le pouvoir de ne rien abjurer

J’espère j’ai pu vaincre ma naissance obscure

Le fait de commencer n’est qu’une illusion

 

Le réel table

Sur le réel

 

Et la morale

Sur la morale

 

Je vis d’un bien nécessaire

Et d’un monde profitable

 

Je vis d’un élan constant

Arriver est un départ

 

Vieillir c’est organiser

Sa jeunesse au cours des ans

 

C’est mûrir mille jeunesses

Par étés et par automnes

 

Tenir son vol assez haut

Pour que l’aile y ait un but

 

C’est ruiner l’ombre quotidienne

Sur des sommets perpétuels

 

C’est faire honneur à l’avenir

 

Je me répète à la mesure où je suis homme

Et je m’étonne que personne

N’ait pu valablement

Me démentir parler pour moi sans que résonne

Aussitôt plus pure ma voix

Et sans le vouloir j’ai raison

Sans le vouloir je suis de tous les temps

 

Les mots qui me sont interdits me sont obscurs

Mais les mots qui me sont permis que cachent-ils

Les noms concrets

D’où viennent-ils vers moi

Sur ce flot d’abstractions

Toujours le même

Qui me submerge

 

En moi si tout est mis au bien

Tout vient du mal et du malheur

 

Les mots comme les sentiments

Ce n’est pas pour rien qu’on hérite

De l’auréole des victimes

Des cauchemars du désespoir

Et de la haine et de l’angoisse

D’une foule vaincue et lasse

Tombée à la première marche

 

Le mot maison dans leur ville les pauvres

Sont plus pauvres de leur maison

 

Le mot fenêtre un mur le bouche

 

Soleil les papillons s’entassent

Le désert s’infiltre partout

 

L’eau bouclier crevé d’avance

 

Les mains esclaves flammes vaines

Travaillent sans savoir pourquoi

 

Table verrou de l’appétit

 

Tuiles d’avoir vu rose sous l’azur bien sage

Un enfant se déprave au contact de la nuit

 

Et sa chair est en loques

 

Caresse laine sacrifiée

Chemin d’hiver et de vieillesse

 

Au gué de la rivière on oublie les infirmes

 

Le mot chambre bolide à jamais dans la boue

Éclatant ressort détendu

 

Souche calcinée et stérile

 

Marais bouquet marbré d’odeurs

Grille multipliée du plomb

 

Fleur fille épaisse des couleurs

 

Le lit étendard de défaite

Lumière fade verre vide

 

Le mot miroir où la beauté mendie son pain

 

Joli rossignol dans la nuit

Ouvre les plaies de l’insomnie

 

Que la forêt soit ta charpie

 

Le mot porte cri d’agonie

Calcul pourri de l’évasion

 

La vague d’où l’on ne sort plus

 

Le sang d’un homme se répand

En moins d’une heure pour toujours

 

Le sang d’un homme fait horreur

 

Le sang d’un homme répond non

À toute question quand il meure

 

Le mot tremplin surgit des reins de la vipère

 

Statue monstre d’indifférence

Battant arraché de la cloche

 

Panorama tout se ramène au plus petit

 

Le mot façade crépuscule

Pavé suivant l’ordre établi

 

Aiglon tremblant fils du vertige

 

Et les toits se couvrent de neige

Ou de chiendent comme des tombes

 

Les mains heureuses ont trahi

 

Elles n’ont rien trouvé de bon

Dans la nature ni dans l’homme

 

Dix doigts c’est trop peu pour comprendre

 

Pierre insensible puits massif

Où le squelette boit son ombre

 

Épi scolopendre immobile

 

Lèvres les ailes d’un moulin

Qui tourne à rebours des désirs

 

Chaînes faveurs autour des jambes

 

Le mot pollen comme un crachat

Comme un palais jeté par terre

 

Orage horloge détraquée

 

Dures perles séchant sur pied

Feu monnayable des vertus

 

Tous les yeux dans leur rouille crasse

 

Le mot marée porte la peste

La musique de l’ennemi

 

La griffe est un doigt juste sur un clavier faux

 

L’arbre s’abat le feu s’éteint

Le pont se brise comme un os

 

La liane se grave en cicatrice ignoble

 

Le miel encrasse amèrement la ruche morte

La voile j’ai connu qu’elle se couche et flotte

 

Ainsi j’ai perdu mon élan

 

Et les premières rides

Ont ficelé ma face

 

Et j’ai compris

 

À partir de la nuit

Je renverse le mal j’échafaude l’espoir

En montant sur des ruines

 

Qu’ai-je jamais pensé dans mon passé sinistre

Qui vaille le matin qui vaille le travail

D’une main courageuse au seuil de la confiance

Et j’apprends à tisser une dentelle d’ailes

Et de salutations à tout ce que je nomme

Pour les temps à venir

 

Une dentelle au point d’aurore

Crible d’yeux clairs et de claires paroles

Fini de fuir j’avance et je m’anime

De la sève d’un feu lucide

Je jure et mon serment ne peut jamais faillir

Que sinon moi les autres oublieront le mal

 

Ils seront maîtres d’eux-mêmes

Toujours à leur premier geste

Toujours à leur premier mot

Toujours sans défauts leurs rides

Auront la beauté de l’aube

Quand les yeux ont reposé

 

Il fallait que je dise tout ce que j’ai dit

Car je viens de moins loin qu’où mes frères iront

Et je veux me survivre

Je veux mourir et vivre par un mot sans bornes

Ce premier mot c’est toi

Toi telle que tu es inaugurant mon ordre

 

Toi qui joins tout ce qui est vrai

Ma bien-aimée ma bien-aimante

Semblable aux saisons sans regrets

Toi qui me permets d’échapper

À la facilité de vivre

Par des mensonges même au nom de la vertu

 

Même au nom de la vérité

 

La vérité c’est liberté

C’est la fleur et le fruit promis

C’est la fécondité par-delà toute faim

Par-delà toute cécité

 

Statue il n’y a plus qu’une statue sur terre

Elle a le fier maintien de l’homme sur la terre

 

Un seul toit unit tous les ciels

Chaque maison n’est qu’un caprice

 

L’horizon borde mes paupières

Par quel miracle aurais-je peur

 

L’espace est le filet de lait

Qui me nourrit et m’éternise

 

Panorama j’absorbe au fond d’un puits profond

Le ciel plein jusqu’aux bords de reflets et d’étoiles

 

L’étoile augmente les étoiles

Nous savons marier les saisons

 

Nous savons défaire les nœuds

De ce qui n’est que contingences

 

Les vieilles neiges rajeunissent

Le soleil brille dans nos villes

 

Notre fenêtre s’écarquille

Jusqu’à refléter l’avenir

 

Tuiles d’avoir vu rose dans l’exaltation

De l’azur un enfant se disperse et se cherche

 

Les nuages ne pèsent rien

L’orage nerveux les décoiffe

 

L’air et l’eau coulent dans nos mains

Comme verdure en notre cœur

 

Le sang d’un homme est un fuseau

Si serré qu’il n’en finit pas

 

Je ne me suis jamais fait à l’image exacte

Qu’un miroir me renvoie sans prévoir mes grimaces

 

Une flèche s’épanouit

De l’arc du lit de la fatigue

 

Contre la mort la vieille histoire

Dont la gloire s’est effacée

 

La griffe agrafe l’or fragile

Du clair mirage de sa proie

 

La liane enlace la foule

L’épi fertilise la foudre

 

Le miel crispe un faisceau d’aiguilles

Qui cousent la douceur de vivre

 

La perle morte se divise

En mille perles feux fertiles

 

La perle parle par l’éclat de sa candeur

Quand donc n’aurai-je plus qu’à me fondre en la mienne

 

Feux des minutes feux des îles

Au long d’un voyage immobile

 

D’un grand voyage où nul n’est seul

Où nul n’a peur de son prochain

 

Routes je suis au pas des hommes les meilleurs

Routes je vais plus loin que ce que j’espérais

 

Il m’a toujours fallu un seul être pour vivre

Pour exalter les autres

 

Pierre je ne suis pas de bois

Ma chair est bouillante et vivace

 

Nos mains sont menées à la danse

Par l’aile et le chant des oiseaux

 

La table règle l’écriture

Le fin propos la note juste

 

La table règle la moisson

Comme nos lèvres le plaisir

 

La marée monte comme l’arbre

Comme nos yeux qui se répandent

 

La voile fait un pas immense

Puis se gonfle pour tous les vents

 

Une voile s’en va revient gagne le large

Diminue à ma vue et grandit à l’escale

 

L’homme navigue et vole il dénoue la distance

Il élude son poids il échappe à la terre

 

Je peux vivre entre quatre murs

Sans rien oublier du dehors

 

Chambre de l’ancien temps noyau d’un fruit géant

J’ouvre la porte qui en sort les fous les sages

 

Tous plus beaux les uns que les autres

Chacun devançant le matin

 

Tremplin mur renversé de la prison des pauvres

Libres les pauvres se confondent

 

Ils ont tous la même richesse

Pour s’entr’aimer plus près d’eux-mêmes

 

Pour s’entr’aider le seul poème

Vraiment rythmé vraiment rimé

 

Chacun a découvert son bien

Et le bien de tous est sans ombre

 

Il nous suffit d’être chacun pour être tous

D’être soi-même pour nous sentir entre nous

 

D’être sages pour être fous

Et d’être fous pour être sages

 

Viens à côté de moi toi qui passais au large

Je m’approche de toi moi qui sors de la foule

 

D’une caresse au seuil de notre nudité

L’univers s’impose subtil

 

D’une caresse au seuil de nos premiers baisers

Nous passons aux plus fines branches

 

Un amour qui n’a pas de but

Sinon la vie sans différences

 

L’extase en est légère à nos sens rassemblés

Comme l’aube à nos rêves

 

À nos sens rassemblés

 

Il nous faut voir toucher sentir goûter entendre

Pour allumer un feu sous le ciel blanc et bleu

Toujours le premier feu l’étoile sur la terre

Et la première fleur dans notre corps naissant

 

Sens de tous les instants

 

Il nous faut voir ne pas voir noir être confiant

Et de la vue sauvage faire une lumière

Sans fumée et sans cruauté

Tu la respires et ton souffle me libère

 

Mes yeux ont su te sourire

 

J’ai rempli la coupe d’eau

J’ai rempli la plaine d’hommes

Je me suis comblé d’aurore

Et de sang j’ai vu en moi

 

Voir se limite à la paume

Des orbites golfe idéal

Rose haute de la marée

Tous mes désirs abreuvés

Rose avouée en pleurant

 

Apprends à tout me dire je peux tout entendre

Ta pensée est sans honte pense à haute voix

 

Silence la merveille simple

Et de fil en aiguille

Tout s’est épanoui

Le vent obscurément nettoie

La mer et le soleil

Ton souffle gonfle mes réponses

Entends le vent je sais ce que tu dis

Et je me lie aux bruits qui te font vivre

Sur une route où l’écho bat dans tous les cœurs

Malgré la porte et les volets fermés

Ma timide écoutons le tonnerre des bruits

Et les muets cherchant à dissiper leur nuit

Écoutons ce qui dort en nous d’inexprimé

 

Franchissons nos limites

 

J’étais loin j’avais faim j’avais soif d’un contact

 

Te toucher ressemblait aux terres fécondées

Aux terres épuisées

Par l’effort des charrues des pluies et des étés

Te toucher composait un visage de feuilles

Un corps d’herbes un corps couché dans un buisson

Ta main m’a protégé des orties et des ronces

Mes caresses fondaient mes rêves en un seul

Clairvoyant et aveugle un rêve de durée

 

Car je te touchais mieux la nuit

 

J’étais sauvé

 

D’avoir goûté le ciel la terre et la marée

Senti le sang la peau la gelée et le foin

D’avoir tout entendu touché je me montrais

Je respirais me colorais marchais parlais

Et me reproduisais

 

D’avoir vu clair en plein midi j’acceptais l’ombre

Je savais diviser et grouper les étoiles

Et les actes des hommes

Je savais être moins et bien plus que moi-même

Mes cinq sens faisaient place à l’imagination

 

L’imagination laisse à penser           
Que nous possédons un sixième sens.

 

Les cinq sens confondus c’est l’imagination

Qui voit qui sent qui touche qui entend qui goûte

Qui prolonge l’instinct qui précise les routes

Du désir ambitieux

Je sais la vérité dès que je l’imagine

Le mal étant à vaincre

 

J’imagine je vois le dessous le dessus

D’un pont qui joint les hommes

D’un pont qui joint les mondes

Je vois la rose sourdre d’une pierre morne

La panthère atterrir au-delà du désordre

Des rochers et des ronces

 

Je vois l’enfant pétrir le pain de l’avenir

La femme dans la paix de son cœur s’offrir nue

Ou bien vêtue de tout

J’imagine l’écho du premier cri d’espoir

Le premier feu passant d’une main à une autre

Le dernier mot des fous

 

Les fruits ont la saveur de l’aube associée

Aux lèvres des plus fraîches sources

J’imagine et j’en perds le souffle

Que rayonne un arc de concorde

Des plus hauts besoins des esclaves

À la force qui les délivre

 

Je vois ce monde tel qu’il fut dans ses vitrines

Figé prudent et puis il roule dans la rue

Il éclabousse les pavés

Il glisse à la passion des terres cultivées

Comme un sein débridé par des mains appliquées

Je suis fait pour boire son lait j’en ai le droit

 

Je vois ce monde qui n’est pas mais qui sera

Ce monde qui a tout pour lui

Il a la mère il a la graine

Il sait construire des palais

Il sait ce qui est inutile

Ses chaînes tiennent à un fil

 

Demain je ne périrai pas

Demain je suis mon enchanteur

Demain le feu baise mes pas

Et la sécheresse renonce

La rosée de mon cœur éclaire

Ce qu’aucun homme n’a pu voir

 

Mais tout n’a pas été si facile ni gai

 

Et je veux dire ce qui est à cet instant

Où tout à tout jamais semble buter sur l’ombre

L’enfant pâlit terriblement devant son père

L’enfant ne lutte pas n’a pas le torse nu

Ni les poings pétrifiés ni le cœur endurci

Ni les yeux éduqués ni la parole faite

 

Sa chaleur maigre et glabre

N’alimente pas le foyer

Et puisqu’il est sans créatures

Il se rêve sans créateur

 

Je vois un lac très fin qui s’éveille trop tôt

J’oublie vite la masse de la sympathie

J’ai trente-six façons de ne rien annoncer

Puisqu’hier j’étais jeune aujourd’hui je suis jeune

 

Je ne veux pas grandir je ne veux rien apprendre

Ma forge est plus fragile que ses étincelles

Je m’exprime par bonds sans savoir où je vais

Quand je me sens perdu enfin je me repose

 

Comme un désert inexploré

L’enfant pâlit terriblement

 

Ai-je jamais été enfant

Moi qui peux parler de l’enfance

Comme je parle de la mort

 

J’invente mon enfance et j’invente la mort

Passant je m’asphyxie d’être naissant mourant

Et je cherche à me joindre ailleurs à une autre heure

 

Où ai-je commencé quelle fin franchirai-je

Je refuse l’instant qui me prouve semblable

À toutes mes images faites ou défaites

 

Je n’ai pas été jeune et je ne mourrai pas

 

La joie de vivre est un fruit mûr

Que le soleil glace de sucre

 

Et le printemps est dans l’hiver

Et sur ma mémoire ensablée

 

Mirage passe un appel d’air

Plénitude plane un oiseau

 

Je souffre de ne pas savoir

Quand je suis né quand je mourrai

Je souffre d’être sans limites

Je confonds hier et demain

Mes soirs mes matins sont changeants

Je me perds et je m’éternise

Au carrefour de leurs reflets

 

Je ne suis pas comme une plante

Pendu au temps qu’il fait

 

Je ne suis pas comme un insecte

Absorbé par le sol

 

Quand je vole je vais plus droit

Que la mouette ou l’hirondelle

 

D’un fer pesant d’un fer ardent

Je repasse les plis du vent

 

Je n’ai vraiment plus besoin d’ailes

Pour calciner ma pesanteur

 

Et je peux creuser dans la terre

Des puits plus musclés que ma force

 

Et je peux tirer de mon cœur

Le temps d’être toujours meilleur

 

Je vis à l’échelle de tous

Ce qui me manque un autre l’a

 

Chacun sait lire de confiance

La loi qui ne courbe personne

 

Je prends n’importe quel visage

Comme une goutte d’apparence

 

Pour animer tous les visages

Et pour commencer par un seul

 

Je construis l’amour au sommet

D’un univers porteur d’espoir

 

Nous sommes l’un et l’autre au jour

Pour n’en jamais finir d’aimer

 

Pour ne plus jamais renoncer

À la fraternité

 

Pourtant ce monde est petit

Petit comme une journée

 

Petit comme un nom banal

Comme une feuille d’automne

 

L’enfant dans l’épicerie

Répète ses commissions

 

Et puis il compte ses sous

L’amant pense à son travail

 

Le savant pense à son train

L’ouvrier à l’hôpital

 

La rue passe son chiffon

Sur les pas des hommes las

 

Le poète veut manger

La putain veut réussir

 

Une hache va tomber

Sur le cou des condamnés

 

Le héros est privé d’armes

La mère est lasse à mourir

 

Le sommeil les réunit

L’aube les éveille à peine

 

La fatigue les dissout

La misère les sépare

 

Je vois le dos d’un manteau gris

Dans une rue très basse sous la pluie

 

Je vois des pygmées sans conscience

Saluer leurs drapeaux en priant

 

Je vois des soldats dans la boue

Saluer les balles de la tête

 

Je vois les maisons démolies

Comme à plaisir pour une fête

 

Je vois un ventre ouvert en grand

Aux mouches au soleil pourri

 

Je vois les mains estropiées

Des vieillards menés à l’asile

 

Je vois des beautés inutiles

S’éteindre dans la nuit du doute

 

Et les fleurs sont artificielles

Et la terre devient stérile

 

Et je devrais bientôt me taire

 

Pourtant si je suis sur la terre

C’est que d’autres y sont aussi

Qui comme moi ont bégayé

Quand nous n’étions tout à fait muets

 

Il faut leur rendre la parole

Ils ont avalé le poison

Maudit leur mère et leur misère

Sans rien connaître d’exaltant

 

Il ne faut promettre et donner

La vie que pour la perpétuer

Comme on perpétue une rose

En l’encerclant de mains heureuses.

BLASON DÉDORÉ DE MES RÊVES

Dans ce rêve et pourtant j’étais presque éveillé

Je me croyais au seuil de la grande avalanche

Tête d’air renversée sous le poids de la terre

Ma trace était déjà dissipée j’étouffais

Dernier souffle premier gouffre définitif

 

Je respire souvent très mal je me confine

Moralement aussi surtout quand je suis seul

 

Dans ce rêve le temps de vivre était réduit

À sa plus simple expression naître et mourir

Mes vertèbres mes nerfs ma chair

Tremblaient bégayaient d’ignorance

Et je perdais mon apparence

 

J’en vins pour me sauver à rêver d’animaux

De chiens errants et fous de nocturnes immenses

D’insectes de bois sec et de grappes gluantes

Et de masses mouvantes

Plus confuses que des rochers

Plus compliquées que la forêt d’outre-chaleur

Où le soleil se glisse comme une névrite

Des animaux cachots tunnels et labyrinthes

Sur terre et sous terre oubliés

Des animaux au sein de l’eau qui les nourrit

À fleur de l’air qui les contient

Et des animaux décantés

Faits de tout et de rien

Comme les autres supposés

Sans parois immédiates sans rapports certains

Vertige dans la brume je restais en friche

 

Je figurais comme un mendiant

La nature et les éléments

Et ma chair pauvre mon sang riche

Et mes plumes vives fanées

Mes écailles ma peau vidée

Ma voix muette mon cœur sourd

Mon pelage mes griffes sûres

Ma course et mon cheminement

Ma ponte et mon éventrement

Ma mue et ma mort sans rupture

Mon corps absurde prisonnier

Des poussées de la vie en vrac

Ma fonction d’être reproduit

Interminablement

M’inclinaient toujours un peu plus

Vers le fond le plus inconscient

 

J’en vins pour me sauver à me croire animal

Voguent volent se terrent mes frissons d’enfant

Mes yeux jamais ouverts et mon vagissement

Je ne refuse pas l’hiver je vis encore

Dans l’embrasure de l’automne mais je passe

Aux premiers froids comme une feuille

Ou bien je meurs comme je nais sans majesté

Dans un gargouillement je suis la bulle éclose

Et crevée au soleil je tisse sans savoir

La toile la fourrure ou le bond sans fêlure

Qui me permettent de durer pour un instant

Nul n’a jamais ri ni pleuré

Je ne m’embourbe ni n’étouffe

Je ne me brûle ni me noie

Je suis le nombre indéfini

Au cœur d’une page de chiffres

 

Je suis fils de mes origines

J’en ai les rides les ravines

Le sang léger la sève épaisse

Les sommets flous les caves sombres

La rosée et la rouille

Je m’équilibre et je chavire

Comme les couches de terrain

Et je m’étale et je me traîne

Je brûle et je gèle à jamais

Et je suis insensible

Car mes sens engloutissent

La chute et l’ascension

La fleur et sa racine

Le ver et son cocon

Le diamant et la mine

L’œil et son horizon

 

Je ne suis ni lourd ni léger

Ni solitaire ni peuplé

Nul ne peut séparer

Ma chevelure de mes bras

Ni ma gorge de son silence

Ni ma lumière de ma nuit

Je suis la foule partout

Des profondeurs et des hauteurs

La grimace en creux en relief

La crispation de la distance

La clarté close ou provocante

Le masque posé sur la nacre

La glèbe creusée par la taupe

La vague enflée par le requin

La brise chantante d’oiseaux

Pour rien pour que tout continue

Dans un foyer brillant éteint

Et ranimé par un fétu

 

Les animaux sont la charnière

Des ailerons du mouvement

Ils ne connaissent ni naufrages

Ni décombres ils perpétuent

La longue alliance de la boue

Avec l’azur avec la pierre

Avec le flot avec la flamme

Dure et douce comme une bouche

Je ne peux pas me reposer

Je m’agrège au jeu sans issue

Au bruit sans couleur de musique

Il n’est pas question de régner

Ni de parler pour troubler l’ordre insane

Ni d’élever le talus de mon crâne

Plus haut que le buisson du jour

Ni de permettre à ma poitrine

Par son étrave de troubler

La lie de l’immobilité

 

Animal je n’ai rien qui me conduise ailleurs

 

Je ne dispose pas du temps il est entier

Ma poussière ignore les routes

La foudre anime mon squelette

Et la foudre m’immobilise

Je suis pour un printemps le battement de l’aile

Je glisse et passe sur l’air lisse

Je suis rompu par le fer rouge

De l’aurore et du crépuscule

La terre absorbe mon reflet

Je ne suis l’objet d’aucun doute

Je ne contemple rien je guette

La prolifération de l’ombre

Où je puis être et m’abolir

L’envie m’en vient sans réfléchir

Le mur que je frappe m’abat

Et je tombe et je me relève

Dans le même abîme essentiel

Dans la même absence d’images

 

Dessus dessous la vérité élémentaire

La vérité sans son contraire

Il n’est pas une erreur au monde

Le jour banal et la nuit ordinaire

Et des attaches pour toujours

Avec un point fixe la vie

Ni bonne ni mauvaise

Une vie absorbant la mort

Sans apparence de prestige

 

Nulle auréole pour le lion

Nul ongle d’or pour l’aigle

Et les hyènes n’ont pas de honte

Les poissons s’ignorent nageant

Aucun oiseau ne vole

Le lièvre court pour mettre un point

Au regard fixe de la chouette

L’araignée ne fait qu’une toile

Utile ou inutile un grenier une ruine

 

Je me sens m’en aller très bas

Très haut très près très loin très flou

Et net immense et plus petit

Que le ciel amassé pour moi

J’imite le plus machinal

Des gestes d’un lieudit la terre

Lune et soleil sont sans mystère

Non plus que l’épaule aux aisselles

Non plus que le vent à mes ailes

 

Blason dédoré de mes rêves

Ai-je fait mon deuil de moi-même

 

En me couchant comme la cendre sous la flamme

Ai-je abdiqué ne puis-je plus rien désigner

En me montrant du doigt moi si fier d’être au monde

 

Non je dors et malgré le pouvoir de la nuit

J’apprends comme un enfant que je vais m’éveiller

Mes draps sont le linceul de mes rêves je vis

Et du gouffre je passe à la lumière blonde

Et je respire comme un amoureux se pâme

Comme un fleuve se lisse sous une hirondelle

 

Je sais que je ne suis pas seul ma fièvre augmente

Je m’élance et je monte et j’affirme mon but

Je suis enfin sorti de mon sommeil je vis.

ÉPITAPHES

L’épigramme funéraire est un antique moyen de donner à penser aux vivants. Par-dessus le mur du passé, elle peut transmettre la confiance et l’espoir.

I

pour Marc.

L’enfant j’ai été l’enfant

Joue sans jamais réfléchir

Aux sombres détours du temps

 

Éternel il joue pour rire

Il conserve son printemps

Son ruisseau est un torrent

 

Moi mon plaisir fut délire

Mais je suis mort à neuf ans.

 

II
 

La souffrance est comme un ciseau

Qui tranche dans la chair vivante

Et j’en ai subi l’épouvante

Comme de la flèche à l’oiseau

Du feu du désert à la plante

Comme la glace sur les eaux

 

Mon cœur a subi les injures

Du malheur et de l’injustice

Je vivais en un temps impur

Où certains faisaient leurs délices

D’oublier leurs frères leurs fils

Le hasard m’a clos dans ses murs

 

Mais dans ma nuit je n’ai rêvé que de l’azur.

 

*

 

Je pouvais tout et je ne pouvais rien

Je pouvais tout aimer mais pas assez.

 

*

 

Le ciel la mer la terre

M’ont englouti

 

L’homme m’a fait renaître.

 

*

 

Ci-gît celui qui vécut sans douter

Que l’aube est bonne à tous les âges

Quand il mourut il pensa naître

Car le soleil recommençait.

 

*

 

J’ai vécu fatigué pour moi et pour les autres

Mais j’ai toujours voulu soulager mes épaules

Et les épaules de mes frères les plus pauvres

De ce commun fardeau qui nous mène à la tombe

 

Au nom de mon espoir je m’inscris contre l’ombre.

 

*

 

Arrête-toi et souviens-toi de la forêt

De la prairie plus claire sous le soleil vif

Souviens-toi des regards sans brumes sans remords

 

Le mien s’est effacé le tien l’a remplacé

D’avoir été d’être vivants nous continuons

Nous couronnons le désir d’être et de durer.

 

III
 

Ceux qui m’ont mis à mort ceux qui ne redoutaient

Que de manquer mon cœur tu les as oubliés

 

Je suis dans ton présent comme y est la lumière

Comme un homme vivant qui n’a chaud que sur terre

 

Seuls mon espoir et mon courage sont restés

Tu prononces mon nom et tu respires mieux

 

J’avais confiance en toi nous sommes généreux

Nous avançons le bonheur brûle le passé

 

Et notre force rajeunit dans tous les yeux.

ABOLIR LES MYSTÈRES

CE NE SONT PAS MAINS DE GÉANTS
 

Ce ne sont pas mains de géants

Ce ne sont pas mains de génies

Qui ont forgé nos chaînes ni le crime

 

Ce sont des mains habituées à elles-mêmes

Vides d’amour vides du monde

Le commun des mortels ne les a pas serrées

 

Elles sont devenues aveugles étrangères

À tout ce qui n’est pas bêtement une proie

Leur plaisir s’assimile au feu nu du désert

 

Leurs dix doigts multiplient des zéros dans des comptes

Qui ne mènent à rien qu’au fin fond des faillites

Et leur habileté les comble de néant

 

Ces mains sont à la poupe au lieu d’être à la proue

Au crépuscule au lieu d’être à l’aube éclatante

Et divisant l’élan annulent tout espoir

 

Ce ne sont que des mains condamnées de tout temps

Par la foule joyeuse qui descend du jour

Où chacun pourrait être juste à tout jamais

 

Et rire de savoir qu’il n’est pas seul sur terre

À vouloir se conduire en vertu de ses frères

Pour un bonheur unique où rire est une loi

 

Il faut entre nos mains qui sont les plus nombreuses

Broyer la mort idiote abolir les mystères

Construire la raison de naître et vivre heureux.

 

LES CONSTRUCTEURS
 

à Fernand Léger.

Pleurez vieux paresseux des temps incohérents

Vos prétentions nous feront rire

Nous avons fait notre ciment

De la poussière du désert

Nos roses sont écloses comme un vin soûlant

Nos yeux sont des fenêtres propres

Dans le visage blond des maisons du soleil

 

Et nous chantons en force comme des géants

 

Nos mains sont les étoiles de notre drapeau

Nous avons conquis notre toit le toit de tous

Et notre cœur monte et descend dans l’escalier

Flamme de mort et fraîcheur de naissance

Nous avons construit des maisons

Pour y dépenser la lumière

Pour que la nuit ne coupe plus la vie en deux

 

Chez nous l’amour grandit quand nos enfants s’élèvent

 

Gagner manger comme on gagne la paix

Gagner aimer comme le printemps gagne

Quand nous parlons nous entendons

La vérité des charpentiers

Des maçons des couvreurs des sages

Ils ont porté le monde au-dessus de la terre

Au-dessus des prisons des tombeaux des cavernes

 

Contre toute fatigue ils jurent de durer.

LE CHÂTEAU DES PAUVRES

Venant de très bas, de très loin, nous arrivons au-delà.

 

Une longue chaîne d’amants

Sortit de la prison dont on prend l’habitude

 

Sur leur amour ils avaient tous juré

D’aller ensemble en se tenant la main

Ils étaient décidés à ne jamais céder

Un seul maillon de leur fraternité

 

La misère rampait encore sur les murs

La mort osait encore se montrer

Il n’y avait encore aucune loi parfaite

Aucun lien admirable

S’aimer était profane

S’unir était suspect

 

Ils voulaient s’enivrer d’eux-mêmes

Leurs yeux voulaient faire leur miel

Leur cœur voulait couver le ciel

Ils aimaient l’eau par les chaleurs

Ils étaient nés pour adorer le feu l’hiver

 

Ils avaient trop longtemps vécu contradictoires

Dans le chaos de l’esclavage

Rongeant leur frein lourds de fatigue et de méfaits

Ils se heurtaient entre eux étouffant les plus faibles

 

Quand ils criaient au secours

Ils se croyaient punissables ou fous

Leur drame était le repoussoir

De la félicité des maîtres

 

Que de baisers désespérés les menottes aux lèvres

Sous le soleil fécond que de retours à rien

Que de vaincus par le trop-plein de leur candeur

Empoignant un poignard pour prouver leur vertu

 

Ils étaient couronnés de leurs nerfs détraqués

On entendait hurler merci

Merci pour la faim et la soif

Merci pour le désastre et pour la mort bénie

Merci pour l’injustice

Mais qu’en attendez-vous et l’écho répondait

 

Nous nous délecterons de la monotonie

Nous nous embellirons de vêtements de deuil

Nous allons vivre un jour de plus

Nous les rapaces nous les rongeurs de ténèbres

Notre aveugle appétit s’exalte dans la boue

On ne verra le ciel que sur notre tombeau

 

Il y avait bien loin de ce Château des pauvres

Noir de crasse et de sang

Aux révoltes prévues aux récoltes possibles

 

Mais l’amour a toujours des marges si sensibles

Que les forces d’espoir s’y sont réfugiées

Pour mieux se libérer

 

Je t’aime je t’adore toi

Par-dessus la ligne des toits

Aux confins des vallées fertiles

Au seuil des rires et des îles

Où nul ne se noie ni ne brûle

Dans la foule future où nul

Ne peut éteindre son plaisir

La nuit protège le désir

L’horizon s’offre à la sagesse

Le cœur aux jeux de la jeunesse

Tout monte rien ne se retire

 

L’univers de fleurs violentes

Protège l’herbe la plus tendre

Je peux t’enclore entre mes bras

Pour me délivrer du passé

Je peux être agité tranquille

Sans rien déranger de ton rêve

Tu me veux simplement heureux

Et nous serons la porte ouverte

À la rosée au grand soleil

Et je t’entraîne dans ma fièvre

Jusqu’au jour le plus généreux

 

Il n’y a pas glaces qui tiennent

Devant la foudre et l’incendie

Devant les épis enflammés

D’un vrai baiser qui dit je t’aime

Graine absorbée par le sillon

Il n’y aura pas de problèmes

Minuscules si nous voyons

Ensemble l’aube à l’horizon

Comme un tremplin pour dépasser

Tout ce que nous avons été

Quand le crépuscule régnait

 

Toi la plus désespérée

Des esclaves dénuées

Toi qui venais de jamais

Sur une route déserte

Moi qui venais de très loin

Par mille sentiers croisés

Où l’homme ignore son bien

Innocent je t’ai fait boire

L’eau pure du miroir

Où je m’étais perdu

Minute par minute

 

Ce fut à qui donna

À l’autre l’illusion

D’avoir un peu vécu

Et de vouloir durer

Ainsi nous demeurâmes

Dans le Château des pauvres

Au loin le paysage

S’aggravait d’inconnu

Et notre but notre salut

Se couvrait de nuages

Comme au jour du déluge

 

Château des pauvres les pauvres

Dormaient séparés d’eux-mêmes

Et vieillissaient solitaires

Dans un abîme de peines

Pauvreté les menait haut

Un peu plus haut que des bêtes

Ils pourrissaient leur château

La mousse mangeait la pierre

Et la lie dévastait l’eau

Le froid consumait les pauvres

La croix cachait le soleil

 

Ce n’était que sur leur fatigue

Sur leur sommeil que l’on comptait

Autour du Château des pauvres

Autour de toutes les victimes

Autour des ventres découverts

Pour enfanter et succomber

Et l’on disait donner la vie

C’est donner la mort à foison

Et l’on disait la poésie

Pour obnubiler la raison

Pour rendre aimable la prison

 

Pauvres dans le Château des pauvres

Nous fûmes deux et des millions

À caresser un très vieux songe

Il végétait plus bas que terre

Qu’il monte jusqu’à nos genoux

Et nous aurions été sauvés

Notre vie nous la concevions

Sans menaces et sans œillères

Nous pouvions adoucir les brutes

Et rayonnants nous alléger

Du fardeau même de la lutte

 

Les aveugles nous contemplent

Les pires sourds nous entendent

Ils parviennent à sourire

Il ne nous en faut pas plus

Pour tamiser l’épouvante

De subsister sans défense

Il ne nous en faut pas plus

Pour nous épouser sans crainte

Nous nous voyons nous entendons

Comme si nous donnions à tous

Le pouvoir d’être sans contrainte

 

Si notre amour est ce qu’il est

C’est qu’il a franchi ses limites

Il voulait passer sous la haie

Comme un serpent et gagner l’air

Comme un oiseau et gagner l’onde

Comme un poisson gagner le temps

Gagner la vie contre la mort

Et perpétuer l’univers

 

Tu m’as murmuré perfection

Moi je t’ai soufflé harmonie

Quand nous nous sommes embrassés

Un grand silence s’est levé

Notre nudité délirante

Nous a fait soudain tout comprendre

Quoi qu’il arrive nous rêvons

Quoi qu’il arrive nous vivrons

 

Tu tends ton front comme une route

Où rien ne me fait trébucher

Le soleil y fond goutte à goutte

Pas à pas j’y reprends des forces

De nouvelles raisons d’aimer

Et le monde sous son écorce

M’offre sa sève conjuguée

Au long ruisseau de nos baisers

 

Quoi qu’il arrive nous vivrons

Et du fond du Château des pauvres

Où nous avons tant de semblables

Tant de complices tant d’amis

Monte la voile du courage

Hissons-la sans hésiter

Demain nous saurons pourquoi

Quand nous aurons triomphé

 

Une longue chaîne d’amants

Sortit de la prison dont on prend l’habitude

 

La dose d’injustice et la dose de honte

Sont vraiment trop amères

 

Il ne faut pas de tout pour faire un monde il faut

Du bonheur et rien d’autre

 

Pour être heureux il faut simplement y voir clair

Et lutter sans défaut

 

Nos ennemis sont fous débiles maladroits

Il faut en profiter

 

N’attendons pas un seul instant levons la tête

Prenons d’assaut la terre

 

Nous le savons elle est à nous submergeons-la

Nous sommes invincibles

 

Une longue chaîne d’amants

Sortit de la prison dont on prend l’habitude

 

Au printemps ils se fortifièrent

L’été leur fut un vêtement un aliment

L’hiver ils crurent au cristal aux sommets bleus

La lumière baigna leurs yeux

De son alcool de sa jeunesse permanente

 

Ô ma maîtresse Dominique ma compagne

Comme la flamme qui s’attaque au mur sans paille

Nous avons manqué de patience

Nous en sommes récompensés

 

Tu veux la vie à l’infini moi la naissance

Tu veux le fleuve moi la source

Nul brouillard ne nous a voilés

Et simplement dans la clarté je te retrouve

 

Vois les ruines déjà du Château qu’on oublie

Il n’avait pas d’architecture définie

Il n’avait pas de toit

Il n’avait pas d’armure

Agonies et défaites y resplendissaient

La naissance y était obscure

 

Vois l’ombre transparente du Château des pauvres

Qui fut notre berceau notre vieille misère

Rions à travers elle

Rions du beau temps fixe qui nous met au monde

 

Il s’est fait un climat sur terre plus subtil

Que la montée du jour fertile

C’est le climat de nos amours

Et nous en jouissons car nous le comprenons

 

Il est la vérité sa clarté nous inonde

 

Nous étendons la fleur de la vie ses couleurs

Le meilleur de nous-mêmes

Par-delà toute nuit

Notre cœur nous conduit

Notre tendresse unit les heures

 

Ce matin un oiseau chante

Ce soir une femme espère

L’oiseau chante pour demain

La femme nous reproduit

 

Le vieux mensonge est absorbé

Par les plus drus rochers par la plus grasse glèbe

Par la vague par l’herbe

Les pièges sont rouillés

 

Sur la ligne droite qui mène

La cascade à son point de chute

Et sur la longue inclinaison

Qui torture le cours du fleuve

Se fixent mille points d’aplomb

Où la vue et la vie s’émeuvent

Éblouies ou se reposant

 

Fleuve et cascade du présent

Comme un seul battement de cœur

Pour l’unique réseau du sang

L’eau se mêle à l’espoir visible

Je vois une vallée peuplée

Des grands gardiens de l’ordre intime

L’exaltation jointe à la paix

 

L’homme courbé qui se redresse

Qui se délasse et crie victoire

Vers son prochain vers l’infini

Le jour souple qui se détend

Moulant la terre comme un gant

L’étincelle devient diamant

La vague enflammée un étang

 

Tout se retourne la moisson

Devient le grain du blé crispé

La fleur se retrouve bouton

Le désir et l’enfant s’abreuvent

De même chair de même lait

Et la nuit met sous les paupières

De l’homme et de l’eau la même ombre

 

La vie au cours du temps la vie

Le réel et l’imaginaire

Sont ses deux mains et ses deux yeux

Ma table pèse mon poème

Mon écriture l’articule

L’image l’offre à tout venant

Chacun s’y trouve ressemblant

 

Le réel c’est la bonne part

L’imaginaire c’est l’espoir

Confus qui m’a mené vers toi

À travers tant de bons refus

À travers tant de rages froides

Tant de puériles aventures

D’enthousiasmes de déceptions

 

Souviens-toi du Château des pauvres

De ces haillons que nous traînions

Et vrai nous croyions pavoiser

Nous reflétions un monde idiot

Riions quand il fallait pleurer

Voyions en rose la vie rouge

Absolvions ce qui nous ruinait

 

Dis-toi que je parle pour toi

Plus que pour moi puisque je t’aime

Et que tu te souviens pour moi

De mon passé par mes poèmes

Comment pourrais-tu m’en vouloir

Ne comptons jamais sur hier

Tout l’ancien temps n’est que chimères

 

De même que je t’aime enfant

Et jeune fille il faut m’aimer

Comme un homme et comme un amant

Dans ton univers nouveau-né

Nous avions tous deux les mains vides

Quand nous nous sommes abordés

Et nous nous sommes pensés libres

 

Il ne fallait rien renoncer

Que le mal de la solitude

Il ne fallait rien abdiquer

Que l’orgueil vain d’avoir été

En dépit de la servitude

Ô disais-tu mon cœur existe

Mon cœur bat en dépit de tout

 

Je ne mens jamais ni ne doute

Je t’aime comme on vient au monde

Comme le ciel éclate et règne

Je suis la lettre initiale

Des mots que tu cherchas toujours

La majuscule l’idéale

Qui te commande de m’aimer

 

Dans le Château des pauvres je n’ai pu t’offrir

Que de dire ton cœur comme je dis mon cœur

Sans ombre de douleur sans ombre de racines

En enfant frère des enfants qui renaîtront

Toujours pour confirmer notre amour et l’amour

 

Le long effort des hommes vers leur cohésion

Cette chaîne qui sort de la géhenne ancienne

Est soudée à l’or pur au feu de la franchise

Elle respire elle voit clair et ses maillons

Sont tous des yeux ouverts que l’espoir égalise

 

La vérité fait notre joie écoute-moi

Je n’ai plus rien à te cacher tu dois me voir

Tel que je suis plus faible et plus fort que les autres

Plus fort tenant ta main plus faible pour les autres

Mais j’avoue et c’est là la raison de me croire

 

J’avoue je viens de loin et j’en reste éprouvé

Il y a des moments où je renonce à tout

Sans raisons simplement parce que la fatigue

M’entraîne jusqu’au fond des brumes du passé

Et mon soleil se cache et mon ombre s’étend

 

Vois-tu je ne suis pas tout à fait innocent

Et malgré moi malgré colères et refus

Je représente un monde accablant corrompu

L’eau de mes jours n’a pas toujours été changée

Je n’ai pas toujours pu me soustraire à la vase

 

Mes mains et ma pensée ont été obligées

Trop souvent de se refermer sur le hasard

Je me suis trop souvent laissé aller et vivre

Comme un miroir éteint faute de recevoir

Suffisamment d’images et de passions

Pour accroître le poids de ma réflexion

 

Il me fallait rêver sans ordre sans logique

Sans savoir sans mémoire pour ne pas vieillir

Mais ce que j’ai souffert de ne pouvoir déduire

L’avenir de mon cœur fugitif dis-le toi

Toi qui sais comment j’ai tenté de m’associer

À l’espoir harmonieux d’un bonheur assuré

 

Dis-le toi la raison la plus belle à mes yeux

Ma quotidienne bien-aimée ma bien-aimante

Faut-il que je ressente ou faut-il que j’invente

Le moment du printemps le cloître de l’été

Pour me sentir capable de te rendre heureuse

Au cœur fou de la foule et seule à mes côtés

 

Nul de nous deux n’a peur du lendemain dis-tu

Notre cœur est gonflé de graines éclatées

Et nous saurons manger le fruit de la vertu

Sa neige se dissipe en lumières sucrées

Nous le reproduirons comme il nous a conçus

Chacun sur un versant du jour vers le sommet

 

Oui c’est pour aujourd’hui que je t’aime ma belle

Le présent pèse sur nous deux et nous soulève

Mieux que le ciel soulève un oiseau vent debout

C’est aujourd’hui qu’est née la joie et je marie

La courbe de la vague à l’aile d’un sourire

C’est aujourd’hui que le présent est éternel

 

Je n’ai aucune idée de ce que tu mérites

Sauf d’être aimée et bien aimée au fond des âges

Ma limite et mon infini dans ce minuit

Qui nous a confondus pour la vie à jamais

En nous abandonnant nous étions davantage

 

Ce minuit-là nous fûmes les enfants d’hier

Sortant de leur enfance en se tenant la main

Nous nous étions trouvés retrouvés reconnus

Et le matin bonjour dîmes-nous à la vie

À notre vie ancienne et future et commune

 

À tout ce que le temps nous infuse de force.

 


Ce livre numérique

a été édité par la

bibliothèque numérique romande

 

https://ebooks-bnr.com/

en février 2023.

 

— Élaboration :

Ont participé à l’élaboration de ce livre numérique : Isabelle, Françoise.

— Sources :

Ce livre numérique est réalisé principalement d’après : Éluard, Paul, Poésie ininterrompue, Paris Gallimard, 1946 ainsi que Poésie ininterrompue II, Paris, Gallimard, 1953. D’autres éditions ont été consultées en vue de l’établissement du présent texte, notamment, Œuvres complètes II, Paris, Gallimard (nrf), 1968. La photo de première page, Chemin forestier, a été prise par Anne van de Perre.

— Dispositions :

Ce livre numérique – basé sur un texte libre de droit – est à votre disposition. Vous pouvez l’utiliser librement, sans le modifier, mais vous ne pouvez en utiliser la partie d’édition spécifique (notes de la BNR, présentation éditeur, photos et maquettes, etc.) à des fins commerciales et professionnelles sans l’autorisation de la Bibliothèque numérique romande. Merci d’en indiquer la source en cas de reproduction. Tout lien vers notre site est bienvenu…

— Qualité :

Nous sommes des bénévoles, passionnés de littérature. Nous faisons de notre mieux mais cette édition peut toutefois être entachée d’erreurs et l’intégrité parfaite du texte par rapport à l’original n’est pas garantie. Nos moyens sont limités et votre aide nous est indispensable ! Aidez-nous à réaliser ces livres et à les faire connaître…

— Autres sites de livres numériques :

Plusieurs sites partagent un catalogue commun qui répertorie un ensemble d’ebooks et en donne le lien d’accès. Vous pouvez consulter ce catalogue à l’adresse : www.noslivres.net.